samedi 8 juin 2013

Décrire un métier qui n'existe pas



Par Danièle 
 
Il pleuvait à verse et je me réfugiai sous un porche. Levant les yeux, je vis une petite plaque dorée sur laquelle était gravé : «Rêves, Vente et Réparations ». Très intriguée, j'appuyai sans réfléchir sur le bouton correspondant. Une voix pleine d'entrain me répondit : « Je vous ouvre, c'est au quatrième, porte de gauche ». N'osant pas faire demi-tour et terriblement curieuse, je pris l'ascenseur et poussai  le bouton N°4. A peine arrivée à l'étage, une porte s'ouvrit sur un jeune enfant aux cheveux blonds frisés : avec la lumière, on aurait pu croire à une auréole. Âgé au maximum de 14 ans, il était encore imberbe et avait des joues roses de bébé.
- Bienvenue monsieur, quel problème vous amène ?  
Prise de cours, je m'inventai immédiatement un rôle de journaliste.
-Oh...aucun, je suis ... journaliste. Pourriez-vous m'accorder une interview ? A vrai dire, votre profession m'intrigue au plus haut point.
- Venez, ne restez pas sur le palier, entrez donc.
Son vestibule était ...aérien. Une légère brise venait effleurer mon visage et je crus percevoir une odeur de ...nuage. Je suivis mon hôte qui me fit pénétrer dans une petite pièce cotonneuse. Je m'assis dans un fauteuil moelleux et, comme par miracle, tous mes soucis s'envolèrent. Je me sentis en sécurité.
-  Voulez-vous une tisane au miel ? Cela assouplit l'esprit.
-  Bien volontiers, merci.
-  Alors, vous venez voir à quoi ressemble un vendeur et réparateur de rêves ?
-  Oui... Désolé si je vous froisse, mais je n'avais jamais entendu parler de votre profession.
-  En fait, pour l'instant nous ne sommes pas encore très nombreux, mais c'est une activité en plein essor car nombreux sont les gens qui souffrent d'insomnies ou de cauchemars. Dans les deux cas, nous proposons des traitements. Si le patient est un insomniaque, après avoir sondé sa personnalité et ses espérances, nous lui fournirons un coffret de vingt rêves qui lui seront adaptés. Dans le cas  de cauchemars, nous allons les réparer pour que les nuits redeviennent paisibles. J'allais oublier, il y a aussi des individus qui viennent nous voir parce qu'ils n'ont pas de rêve. Au fur et à mesure des entretiens, le patient apprendra à devenir autonome et saura lui-même se fabriquer tout un monde onirique. Alors, son imaginaire sera libéré et un sourire béat apparaîtra sur ses lèvres. De plus, nous offrons une garantie satisfait ou remboursé pendant six mois. Parfois, il peut y avoir des rechutes, mais globalement nous avons une réussite proche de 100%. Tenez, voici notre catalogue. Vous pouvez observer la multitude de rêves que nous pouvons vendre : sucrés, salés, en couleur ou monochrome, avec ou sans paysage, avec ou sans individu...Dans tous les cas, nous avons un grand éventail de propositions.
Je sentis une douce tiédeur m’envahir ; était-ce le son de la voix de mon interlocuteur ou sa fameuse tisane au miel ? Je suis reparti en le remerciant pour son accueil. En sortant de l’immeuble, un magnifique arc-en-ciel remplissait le ciel ; la pluie s’était arrêtée.

Par Saki

J’ai d’abord trouvé quelques métiers originaux, mais qui existent pour de bon (pour la commodité du projet, je les écris au masculin, mais il est bien évident que la parité est de mise) :
Tourneur de pages, encaisseur de droit de passage sur pirogue, agiteur d’éventail, colleur de timbres …
Je suis passée à des métiers plus modernes et plus abstraits : dépensier, créateur d’événements, coordinateur de réflexions, appuyeur de projets, le rêve commençait à naître.
J’ai découvert des élargisseurs de point de vue, des donneurs de parole, des simplificateurs de vie, puis le métier que je vais vous faire découvrir s’est imposé.


Drôle de genre

Ce métier pourrait s’apparenter à celui de tailleur sur mesures ou d’accoucheur (vous comprendrez plus loin pourquoi je ne dis pas sage-femme), ou de réalisateur de rêve. Il nécessite une grande maturité, d’avoir roulé sa bosse, expérimenté des situations inhabituelles et surtout de ne pas avoir de préjugés.
Ceux qui exercent cette profession risquent encore pendant longtemps d’être l’objet d’ostracisme, assimilés à leur clientèle.
Le grec Tirésisas, grâce à une intervention miraculeuse fut, il y a fort longtemps, le premier bénéficiaire des services de ce qui n’était pas alors un métier.
Rappelez-vous son histoire : tuant deux serpents qui s’accouplaient, il fut, en punition, lui qui était indubitablement du sexe masculin, transformé en femme pour une durée de sept ans, puis il réintégra sa peau masculine et tous ses attributs.
L’expérience lui fut, paraît-il, très agréable à l’aller comme au retour.
Cette histoire de transformation n’a été suivie d’aucune autre. De nos jours certains osent exprimer à voix presque haute qu’ils ne se sentent pas bien dans leurs habits de naissance et ne rêvent que de changer de sexe.
C’est en pensant à ceux-là que quelqu’un, respectons son anonymat, se souvint donc du vieux Tirésias et devint le premier « essayeur de genre ».
Chacun pouvait, pour la durée de son envie, s’essayer au genre opposé avec réversibilité garantie mais non obligatoire.
Le succès a été quasiment immédiat, les pouvoirs publics s’en sont émus et ont fixé immédiatement un numerus clausus aux étudiants voulant se former à ce nouveau métier.
Chacun pouvait pour une somme raisonnable vivre ses fantasmes les plus inavoués.
Le recul permet, à ce jour, de savoir que la grande majorité de ceux qui testent le changement de genre n’y font qu’une brève incursion mais aussi qu’ils en reviennent beaucoup moins étrangers aux réactions de leur conjoint.
Les essayeurs de genre sont devenus la bête noire des conseillers conjugaux.
Rien n’est parfait.

Par Sylvie

Ma profession est  uranopictologue.
Mon emploi se situe dans le secteur de la santé.
Mon terrain de travail est le fond sur lequel on observe les astres.
Mes outils sont de gigantesques pinceaux et de multiples palettes de colorants spécifiques que je manie via mon ordinateur.
Mon emploi consiste à peintre des bouquets de ballons multicolores dans le ciel.
Chaque gouache est destinée à une personne (enfant, adolescent, adulte). Elle vient faire écho à ses manques, ses besoins  primaires physiologiques ou affectifs.
Exemple, si un enfant ou un adulte est  triste, seul. Il suffit qu’il lève les yeux, regarde le ciel. Un bouquet de tendresse chamarré apparaîtra. Le camaïeu de ces couleurs peintes comblera son vide affectif durant le temps qui lui est nécessaire pour se l’approprier en l’intégrant à son maillage pulsionnel. Il en est de même pour tous les types de dénuements.
Depuis la création de cet emploi, le mot chômage est tombé en désuétude, car le monde emploie une kyrielle d’uranopictologues. Ce métier merveilleux permet de rendre l’homme plus heureux, plus constructif. La vie est devenue douce sur la planète terre.

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