Par Golem
Michel de Rio
Après bien des tergiversations,
il a cédé à la curiosité. Il marche vite sur le trottoir car il pleut très
fort. Le froid est vif. Le rendez-vous est fixé à 18h. Il y a trois jours, un homme
qui lisait les noms sur les boîtes aux lettres lui a remis cette enveloppe qui
lui était destinée. Un courrier signé Tom qui ne ressemblait pas à ces pubs ou
à ces blagues que ses amis lui faisaient parfois à cause de son nom.
« Vous avez été retenu avec cinquante autres candidats pour participer au
jeu-concours organisé par le grand magasin Au Bonheur des Dames. »
Il ne sait pas de quel concours il s’agit : il ne s’est fait inscrire nulle
part. Bien sûr, il a téléphoné mais la jeune femme (sa voix était agréable) qui
lui a répondu a rapidement dit : « Oui, monsieur de Rio, vous êtes
bien sur la liste des candidats. »
Enfin, le magasin. La pluie lui
glace le dos. Il va pouvoir se réchauffer dans la chaleur ambiante. Des yeux,
il cherche l’escalator. Voilà. Deuxième étage aile gauche. Il est presque à
l’heure du rendez-vous. Il zigzague parmi les blousons et les manteaux qu’il
n’a pas les moyens d’acheter. Il n’y avait pas de bon de réduction avec la
lettre dans l’enveloppe. Ce n’était donc pas un moyen publicitaire pour le
faire venir. Il circule maintenant parmi les pantalons, des étroits, des à
pinces, des extensibles. Il est tenté de les palper, de les mettre près des
fenêtres malgré le jour qui meurt. Tiens ! Une grande affiche :
« Voyez notre rayon électroménager, faites-vous plaisir. Gagnez un séjour
d’une semaine dans une île paradisiaque. Pour connaître les détails du
règlement, adressez-vous à nos conseillers portant le badge concours ». Il
hésite et reste là, se balançant d’un pied sur l’autre. Il n’osera jamais
participer à un concours et pourtant, à 35 ans, il aimerait bien faire ce
voyage. Il fait semblant d’être intéressé par le linge de maison. De bien jolis
draps, d’agréables services de table. Malgré lui, Michel est irrésistiblement
attiré par le matériel électroménager. Il s’est rapproché d’une femme qui porte
sur son chemisier un badge distinctif. Au moment où il va enfin oser lui
parler, une petite tape sur l’épaule le fait se retourner. Devant lui, son amie
Marie, un grand sourire aux lèvres. Elle lui dit : « Je t’ai inscrit
au concours ‘Soyez un chef’. Tu devras préparer un plat et un dessert. Toi qui
aimes tant cuisiner, tu peux gagner un beau voyage... »
Par Krysia
Invitation au bonheur
12h30. Je relève le col de mon manteau. En cette fin d’automne, le
froid est particulièrement vif. « Ce n’est pas le moment d’être
malade », pensais-je à voix haute. Je regarde ma montre et accélère le
pas. Je suis en avance et connais parfaitement bien les lieux, mais le respect
que je porte à tout ce que je fais me motive et puis, surtout, j’ai hâte de
savoir. J’enfouis les mains dans mes poches, ressort à nouveau l’enveloppe qui
me perturbe et la relis.
Michel,
Je vous connais mieux que vous ne me connaissez et
pourtant !
Je vais prochainement me marier et j’ai grand besoin
de votre passion pour m’aider.
Je vous propose de nous rencontrer le dimanche 8
décembre à 13h…
L’invitation est signée d’un certain Tom de Rio. Qui est-il ?
Celui qui m’a remis la lettre en main propre ? Est-ce une coïncidence que
l’auteur porte le même nom que moi ? Il connaît des détails sur ma vie,
comment ?
Des odeurs de friture planent dans l’air frais. Involontairement, mon
nez se tourne vers leur source. Le temps des fêtes, un stand de beignets, de
gaufres et de chouchous se dresse dans un coin de l’immense parking.
Je sens mon pouls s’accélérer, une nausée me saisit, puis une envie de
vomir. Mes jambes flageolent, je m’adosse au mur pour ne pas tomber. Depuis
combien de temps n’ai-je pas mangé sérieusement ? Un café ce matin et une
pomme pour le déjeuner. C’est tout ce que j’ai trouvé. Mon ventre se met à
gargouiller pour se plaindre et me rappeler cette pitance maigrichonne. Je
prends une grande inspiration pour me ressaisir.
La porte automatique du centre commercial s’ouvre à mon approche. Je
ne prends pas de chariot. Cette année de chômage a été cruciale pour moi, alors
pas question de se laisser tenter par les festivités de Noël. Et puis à qui
pourrais-je bien offrir un cadeau ? Je n’ai ni femme, ni enfant. Mes
parents sont décédés au début de l’année dans un accident de voiture, le jour
de mes 35 ans. Leur enterrement a mis à mal toutes mes économies et il n’y
avait pas d’héritage. Je chasse mes pensées douloureuses et m’oblige à me
concentrer sur ma destinée.
Arrivé devant le magasin Thierry Armand, je m’arrête tout en restant à
bonne distance de la vitrine.
Je consulte à nouveau ma montre : 12h45, tout va bien ! Je
m’accorde le temps d’observer la cohue qui se bouscule autour de moi : une
vieille dame crie dans le combiné du téléphone mural, deux jeunes hommes
discutent sur un banc, une maman me bouscule avec son caddy sans s’en rendre
compte, trop occupée à raisonner son enfant qui s’émerveille à chaque vitrine.
Des mini stands chatoyants de toutes sortes sont implantés dans le hall. Les
guirlandes électriques enlacées pétillent de mille couleurs dans toutes les
devantures. Les lourds ornements habillent les magasins jusqu’à les transformer
en parc d’attraction. Pas étonnant que le petit ne veuille pas rentrer !
Son enthousiasme contrarié m’émeut. J’aimerais tellement être riche, me
déguiser en Père Noël, quelle que soit la période de l’année. Je ferme les
yeux. Dans tout ce charivari, la musique de « Il est né le divin
enfant » tente de résonner dans les hauts parleurs. Durant quelques
secondes, elle me fait oublier que le temps du bonheur est loin. Je soupire.
J’ouvre les yeux, les illuminations m’éblouissent.
La vieille dame hurle toujours dans le téléphone. Elle doit sûrement
communiquer avec son mari aussi dur d’oreille qu’elle. Les imaginer m’amuse.
Les deux hommes sur le banc s’étreignent et s’embrassent à pleine bouche,
doucement, longuement. J’ai l’impression que leurs langues s’emmêlent.
J’aimerais tourner la tête mais je n’y arrive pas. La vingtaine de mètres qui
me sépare d’eux me permet d’être un voyeur discret. Je m’autorise même à les
détailler : l’un a les cheveux rasés et un survêtement. Il me fait penser
à un para de l’armée. L’autre est plus fluet, lové dans sa posture, plus soigné
dans son allure. Nul besoin de se demander quel rôle joue chacun d’entre eux.
Je ne peux m’empêcher de réfreiner un frisson de curiosité, peut-être
même d’envie. Celle d’être si jeune, si libre, inconscient. Cette envie de
vivre et de se battre pour des idées, tout simplement.
Soudain, le militaire se lève et lorsque nos regards se croisent, la
torpeur m’envahit. Je le vois attraper la main de son petit ami et se diriger
vers moi. Figé, je regarde le couple s’avancer. Je réalise que « Crâne
rasé » n’est autre que le jeune homme qui m’a accosté devant ma boîte aux
lettres trois jours plus tôt. Il entame le dialogue : « Michel, merci
d’être venu. Je comprends votre surprise, mais laissez-moi vous présenter mon
futur mari, ou plutôt, je le laisse se présenter ». Se tournant vers son
amoureux, il poursuit : « Chéri, tu veux que je vous laisse ?
- Non reste, on n’a rien à cacher ! » répond le jeune homme
frêle.
Ce dernier, s’adressant à moi, sourit en m’annonçant :
« Vous ne vous souvenez plus de moi, j’imagine ? »
Perplexe, je fais signe que non, mes cordes vocales sont trop nouées
pour que je réussisse à émettre un son.
-
Je suis Thomas, le fils de votre grande sœur.
Mais par pitié, appelez-moi Tom.
-
Tom ! articulai-je péniblement.
-
Oui ! Le petit garçon que vous faisiez
sauter sur vos genoux et que vous chatouilliez lorsque vous vouliez que
j’arrête de manger les délicieux gâteaux que vous rameniez à votre sœur le
dimanche.
-
Je... je suis désolé. Je ne vous avais pas
reconnu.
-
C’est normal, plus de 20 ans ont passé et je ne
suis plus un enfant.
Puis, se
tournant vers son compagnon et resserrant l’étreinte de leurs mains :
- Je suis
plutôt un homme heureux, et dans deux mois, je serai un mari comblé. Je vous
présente Alexandre.
-
Vous pouvez m’appeler Alex, intervient
Alexandre. Je ne vous ai pas trop inquiété l’autre jour, en débarquant chez
vous comme ça ?
-
Si un peu !
Et, me rattrapant, j’ajoute :
- Je veux dire... J’étais surtout intrigué.
Mon neveu, la voix enjouée, reprend :
- Maman n’a jamais tari d’éloges à votre sujet. Elle n’a eu de cesse
de me répéter que vous étiez doué pour la cuisine. Elle n’a jamais compris
pourquoi vous vous étiez éloigné.
- Je suis désolé…
- Elle n’attend pas d’explication, mais elle aimerait
vraiment reprendre contact avec vous. Depuis la mort de grand-père et de
grand-mère, elle vous recherche activement. Elle a fini par retrouver votre
trace mais ne savait pas comment reprendre contact avec vous. C’est là que nous
entrons en action.
Tom tend ses lèvres à Alex pour recevoir une dose de courage, puis il
se lance :
- Les liens du mariage unissent deux familles, alors il serait juste
qu’il réunisse aussi LA famille.
Il hésite.
- Alex, maman et moi, on se
demandait…
Je suis captivé. Je l’encourage d’un mouvement du menton.
- On se demandait si vous seriez d’accord pour nous aider à préparer
toute la partie traiteur et dessert de la cérémonie. J’ai appris que vous étiez
sans emploi. Nous vous fournirons tout ce dont vous avez besoin et nous vous
rémunérerons…»
Je l’interromps.
- Pas question d’être payé !
Je suis trop content de te retrouver, Tom. Et pour ma sœur…
Les larmes commencent à noyer mes yeux et à m’étrangler. Thomas se
jette dans mes bras et m’embrasse la joue si fort que je sens les os de ses
hanches étroites cogner les miens. Je resserre mes bras autour de son corps
pour prolonger ce moment magique qui me donne l’impression de renaître.
Je ne le savais pas encore, mais son bonheur contagieux eut un impact
puissant dans la vie : la cérémonie se passa à merveille. Un patron
restaurateur, présent parmi les invités, me félicita pour mes mets et entremets
et m’offrit un CDI sans période d’essai. Quant à la photo qui trône sur ma
table de nuit, le nourrisson choyé par la superbe femme, c’est modestement ma
nouvelle famille. Tom est le parrain de notre enfant.
Par Laurence
« Au secours, toi seul peut m’aider. Je suis en danger.
Je serai à Paris le 15, retrouve moi SEUL
au rayon cuisine du Printemps Haussmann, stand Crisiel. Ne cherche surtout pas
à me contacter. C’est une question de vie ou de mort. Souviens-toi de Monsieur
Peligro. Tom. »
Deux jours après avoir reçu cette lettre, Michel était
toujours sous le choc. Lui si actif était resté enfermé chez lui. Il ne cessait
de penser à Tom, son ami. Dans quel guêpier était-il tombé ? Quelle menace
planait sur lui ? Mille questions lui traversaient l’esprit.
C’était bien l’écriture de Tom. Cet appel au secours était
très inquiétant. Il était certain qu’il venait directement de lui, car ils
étaient les seuls à savoir que Monsieur Peligro était un code secret, inventé
lorsqu’ils étaient enfants, pour signaler un danger.
Le lundi 13 novembre, en rentrant chez lui, après son jogging
matinal, il avait remarqué une très jolie femme glissant une lettre dans sa
boite. Tout lui laissait penser qu’elle était
italienne, son regard noir profond, cette élégance naturelle, habillée
en Armani et ce parfum subtil : « Iria Pallida » nuance de
violette et de bois précieux qu’elle avait laissé derrière elle, parfum unique créé par le couturier à partir
d’iris de Toscane.
S’il avait été plus réactif, il l’aurait bien invité à
prendre un verre. Mais le temps d’y penser, la belle avait disparu.
Et puis cette lettre qui lui brûlait les doigts. Depuis, ses
pensées le ramenaient sans cesse à Tom, plus précisément Tommaso Gazzoli.
Tom et lui s’étaient connus sur les bancs de la très chic
« Pension de la Rose » à Lausanne.
Ils avaient 11 ans tous les deux, rentraient en 6è et
partageaient la même chambre. Le fait d’être fils unique tous les deux, de
parents trop occupés qui les avaient abandonnés pour leur bien dans cette
institution les avaient beaucoup rapprochés.
Tom était le plus studieux, doué pour les sciences et les
mathématiques. Michel était plutôt fumiste. Un goût commun pour le sport et les
blagues de potaches, qui les avaient conduits plusieurs fois devant le conseil
de discipline, avait définitivement scellé leur amitié.
Michel De Rio, seul héritier de la fortune familiale,
n’avait pas beaucoup d’inquiétude pour son avenir. Après les disciplines
sportives où il excellait, il
fournissait à ces autres professeurs le minimum syndical. Par contre, il s’était enthousiasmé pour les cours de
cuisine. Sa passion pour la gastronomie était née à ce moment-là.
Tommaso était issu d’une lignée d’industriels milanais, un
scandale financier avait éclaboussé sa famille. Son père, qui avait tout perdu,
se suicida un mois avant son baccalauréat. Malgré la terrible épreuve, Tom
réussit brillamment son examen final avec mention.
Il était venu à Paris faire ses
études de chimie et biologie à la Sorbonne. Il avait logé naturellement chez
Michel qui bénéficiait d’un immense appartement rue de Lisbonne. Michel, pour
le seul plaisir d’apprendre, avait travaillé dans les cuisines des plus grands
chefs étoilés de la capitale, puis en province. Il avait ainsi côtoyé les plus
grands : Guy Sovoy, Thierry Merx, Rabuchon, Marc Menot et surtout le pape
de la cuisine, Monsieur Bacuse. C’est avec le chef Merx qu’il avait le plus
d’affinités.
Il avait pour lui une profonde admiration, ce chef avait mis
la cuisine au sein même de la société. Les gains qu’il percevait, comme jury
d’une célèbre émission de télévision, lui permettait de créer des écoles
d’insertion. Tout comme il se rendait une fois par mois dans des prisons pour
dispenser son savoir à des détenus.
En ouvrant une bouteille de Chassagne-Montrachet, Michel
repensait à ces années parisiennes, faites de fêtes, d’insouciance, de
complicité. Avec Tom, le bonheur était si simple qu’ils inventaient des
histoires loufoques pour distraire et faire rire leurs amis. Leurs répliques
étaient toujours piquantes et s’enchaînaient sur un tempo parfait. Ils
formaient un vrai duo. Ils partageaient tout, sauf leurs conquêtes.
Cette vie joyeuse et insouciante n’avait pas empêché Tom de
devenir docteur en chimie et en biologie.
Puis il était retourné en Italie. Il avait choisi Florence.
Il avait 27 ans. C’était il y a huit ans.
Ils se retrouvaient régulièrement pour des week-ends ou des
vacances, entourés ou non de leurs amis, à la « Commanderie »,
fabuleux domaine dont Michel avait hérité à Mazan près de Carpentras.
Michel, lui, partageait son temps entre Paris et la
Provence, sa passion : la cuisine, le sport et les femmes.
Même s’il avait beaucoup appris des grands chefs, Michel
avait un don, il était tout à la fois cuisinier, saucier, pâtissier, ce qui
était extrêmement rare.
Il réalisait des plats toujours plus extravagants mais
savoureux ou alors il donnait au produit toute sa dimension dans une simplicité
extrême. Il réunissait ses amis, ses relations autour de ses créations, ou bien
il invitait autour d’une vaste table d’hôte de parfaits inconnus pour le seul
plaisir de leur faire partager ces moments de bonheur. Pour lui la cuisine se
vivait. Il aimait rendre les autres heureux.
Il aurait pu être un
chef étoilé et peut-être même un 3 « Macarons », mais il refusait les
contraintes d’un restaurant. Il voulait rester un esthète libre. Il avait 35
ans et tout pour être heureux.
En se servant un 2ème verre de cet excellent
bourgogne 92, ses pensées revenaient constamment vers Tom.
Il relisait sans cesse le message de Tom, cherchant un signe
entre les lignes, un début d’explication qu’il ne trouvait pas.
Pourquoi son ami
était-il en danger ? Qu’avait-il fait ? Michel était plongé dans un
abîme de perplexité et surtout
d’inquiétude.
Il avait, bien sûr, suivi la carrière de Tom. Brillant
chimiste, il avait reçu plusieurs prix, comme celui de l’Académie des Sciences
de Milan et Paris. Il publiait régulièrement dans les revues spécialisées,
était reconnu dans sa spécialité de biologie moléculaire.
Michel s’installa à son bureau, alluma son ordinateur,
cliqua « Tommaso Gazzeli »… Rien de bien important ne lui était
arrivé depuis qu’il avait été pressenti pour recevoir le Nobel de chimie il y a
un an. Le prix avait été attribué au japonais Yoriko Taniguchi.
Michel se souvint de leur
conversation à ce moment-là.
Certes, Tom était déçu mais il était jeune, il avait le temps de recevoir une
telle récompense. En plaisantant, il avait même laissé entendre qu’il allait
prendre un peu de temps pour s’occuper d’une jolie brune.
C’était il y a un an. A part quelques appels et deux ou
trois week-ends passés ensemble, ils ne s’étaient pas beaucoup vus au cours des
douze derniers mois.
Michel interrogea Facebook, Twitter : les deux comptes
étaient fermés depuis un an. Ce n’était pas normal ; Tom, contrairement à
lui, était addict aux réseaux sociaux.
Michel ne savait que penser et comment penser. Le
rendez-vous était fixé au lendemain, 18 heures, au rayon cuisine du Printemps.
Et pourquoi pas au rayon layette ? Et si tout cela était une plaisanterie,
une vaste fumisterie dont Tom avait le secret ? Non, ce n’était pas
possible. Tom ne pouvait pas faire une telle farce à son meilleur ami, lui
faire vivre une telle angoisse, lui jouer une telle comédie. Non, pas à lui.
Non, c’était trop grave. Michel chassa ses doutes, un peu gêné de soupçonner
Tom.
La crainte d’un drame, d’un danger revenait sans arrêt rôder
autour de lui. Ce soir-là, il n’eut aucun plaisir à déguster la brouillade à la
truffe blanche qu’il venait de se préparer. Il repensait à son voyage en
Toscane, le mois précédent, pour acheter sur le marché de San Minato, ces
belles truffes d’Alba qu’il avait sous les yeux. Il s’en voulait de ne pas
avoir pris le temps de rendre visite à Tom. Il finit la soirée en compagnie de
la bouteille de vin, entamée avant le repas.
Il avait bien téléphoné à des amis proches de Tom mais
curieusement, aucun n’avait vu ou parlé à Tom depuis plusieurs mois.
Las de ces deux journées éprouvantes qu’il venait de vivre,
il se coucha, ne pensant plus qu’au lendemain, un peu apaisé à l’idée de
retrouver son ami. La nuit fut entrecoupée de cauchemars et d’insomnies. La
lecture de ses magazines préférés ne le calma pas.
Au petit jour, il se leva, décidé à aller courir au Bois de
Boulogne. Une activité physique lui permettrait de prendre du recul sur ses
craintes. Ensuite, il irait faire quelques longueurs à la piscine pour ne plus
penser.
En rentrant, il décida d’annuler son déjeuner avec un
producteur de confits de canard. Il n’avait pas le courage de l’écouter vanter
la qualité de ses produits. Il préférait, pour se changer les idées, déjeuner
chez son ami le chef Jean-François Piage dans le bistrot qu’il venait d’ouvrir
aux Invalides. Lui seul savait préparer les légumes de saison comme personne.
Il aurait peut-être la chance de déguster la dernière poêlée de cèpes du mois et
goûter à son macaron rose litchi. Puis il irait à pied jusqu’à l’Opéra. Le
temps était froid et sec. Paris avait revêtu ses habits de fêtes. La promenade
aurait pu être belle, s’il n’y avait pas eu cette malheureuse échéance.
Il irait tromper l’attente au Grand Rex, proche du
Printemps, quel qu’en soit le film. Le programme l’amènerait bien à la fin de
la journée.
Le 15 novembre fut interminable. Michel pensa devenir fou.
A 17 h 30, il entra dans le magasin, il avait une demie
heure d’avance. Les clients encombrés de paquets rouges se bousculaient,
certains se dirigeaient vers les sorties en soufflant, d’autres couraient vers
les escalators pour faire leurs derniers achats avant la fermeture.
Ses pas le guidèrent vers le centre du magasin. Sous la
coupole trônait un sapin de 30 mètres de haut, splendide, décorés de boules
multicolores. Il resta un long moment à contempler l’arbre de Noël. L’alarme de
son portable lui rappela la réalité.
17 h 50, il prit l’escalier roulant, gravit les six étages
dans une infinie tristesse. Les mêmes questions, sans réponse, le taraudaient
depuis trois jours. Peut-être aurait-il
dû prévenir la police ? Non, Tom lui avait bien dit de venir SEUL.
Au rayon cuisine, il fut surpris de constater le nombre de
touristes japonais avec des appareils photos autour du cou. Il demanda à une
vendeuse le rayon des ustensiles de cuisine et finit par trouver le stand
Cristel, le nec plus ultra en matière de cuisson. Il reconnaissait bien là son
ami, toujours très attentionné. Mais l’humeur n’était pas à la légèreté.
Il regarda sa montre : 18 h. Son regard balaya le
rayon. Aucune trace de Tom. Et si tout cela était encore plus grave qu’il ne
l’avait imaginé ? S’il était arrivé malheur à Tom ? Il ne se
pardonnerait jamais de ne pas avoir prévenu la police… Toutes ces pensées
l’assaillaient lorsqu’il entendit derrière lui : « Michel, c’est
moi ! Tommaso ! Surtout, ne te retourne pas ! ». A ces
mots, Michel vacilla. C’était bien la voix de Tom, et il aurait reconnu entre
toutes son eau de toilette : ils portaient tous deux le même Vétiver
depuis des années.
« Je suis surveillé, ne dis rien, intéresse-toi aux
poêles. Ecoute-moi bien, le temps m’est compté. Il y a un an, lorsque le Nobel
a été attribué à Yoriko Taniguchi, nous avons sympathisé et avons décidé de
mettre en commun certains de nos travaux sur les nanoparticules dans
l’alimentation. Yoriko s’est installé dans mon laboratoire. J’ai compris assez
vite que nos méthodes de travail étaient différentes. J’ai donc arrêté l’étude,
il a continué seul les recherches.
Il faut dire que mon esprit était occupé par une idée folle.
Tu te souviens peut-être que je t’avais dit que je m’intéressais à une jolie
brune. J’étais fasciné par son goût et par le mystère qui l’entourait. Je lui
ai consacré tout mon temps depuis un an. Et j’ai réussi, Michel, j’ai
réussi ! J’ai élaboré un sérum qui garantit le développement continu de la
TUBER.MELNOSPORUM.
Toi qui es gourmet, un artiste de la gastronomie, tu vas
comprendre ! J’ai créé le diamant de la cuisine, tu imagines les
conséquences de ma découverte.
Oui, Michel imaginait bien ; abasourdi, il
articula : « Mais, tu es fou Tom, totalement fou ! »
« Tais-toi ! Ecoute-moi bien. J’ai découvert que
la truffe noire, contrairement à celle d’Alba, possédait un appareil végétatif
filamenteux continu, alors que pour tous les autres champignons, il est
cloisonné. J’ai réussi à activer le mycelium de la truffe Tuber à partir de
cellules. J’ai inséré des chloroplastes dans une cellule eucaryote hétérotrophe. La greffe a pris, j’ai
alors mis en culture cette substance à
base de truffe et les greffons dans un bain de colchicine, au bout de quelques
temps des sécrétions de tuberculline sont apparues.
Après des tests in vivo aux pieds de noisetiers, chez moi,
la première truffe noire est apparue en Italie. J’ai fait les mêmes tests chez
toi à la Commanderie. J’ai traité les chênes avec le même sérum injecté dans
les racines des arbres. Lorsque tu iras à Mazan, tu constateras que cette
année, les rabasses sont partout.
Ça marche Michel ! J’ai réussi ! J’ai fait tous
les calculs de rentabilité. Tu vas pouvoir produire des tonnes de diamants
noirs. Finis les prix exorbitants au
kilo. Terminé le bâton et le cochon pour les trouver. Tu vas réaliser
tes rêves d’enfant, rendre la gastronomie accessible à tous… Tu vas pouvoir
ouvrir des écoles de cuisine… Leur apprendre à bien manger pour rester en bonne
santé. Tu pourras même ouvrir des restaurants de qualité gratuits. Tu
imagines ! »
Michel se rendait surtout compte que Tom avait perdu pied et
était pris de vertiges en l’entendant raconter ses exploits.
Tom reprit : « Sans Yakitori, je serai l’homme le
plus heureux du monde. Lorsqu’il s’est rendu compte de l’importance capitale de
ma découverte, il a négocié avec un certain Koïchi Furuya la vente de ma
formule pour cinq millions de dollars. Pour cela, il faut qu’il me la vole. Il
se fait aider par les hommes de main de Furuya, qui est un parrain de la mafia
japonaise. J’ai eu juste le temps de m’enfuir de Florence en emportant un
flacon de sérum et une clé USB, les formules, les études y sont stockées, tout
y est. Tu les trouveras entre la 3ème et 4ème casserole
Lagostina, juste derrière toi. Attends que je parte pour les prendre. Je sais
ce que tu penses. J’aurais pu détruire ma découverte, mais je n’ai pas pu, je
n’en ai pas eu le courage.
Terminé le mystère qui plane autour de sa création. Finies
les légendes où l’on nous conte qu’elle naît des effets de la foudre ou qu’elle
est le fruit des éclairs. Moi, j’ai réussi, même si je dois en payer le prix
fort s’ils me retrouvent.
Souviens-toi Michel, il suffit justement de traiter les
chênes avec le sérum injecté dans les racines.
Adieu Michel, j’ai confiance en toi. Je sais que tu feras de
ma découverte quelque chose de formidable. Encore une chose, fais attention
lorsque tu partiras, vérifie bien de ne pas être suivi. Au revoir
Michel. »
Michel se retourna, fit exactement ce que Tom lui avait
demandé. Il trouva la clef et le petit flacon, mit le tout dans la poche de sa
veste. Puis comme un somnambule se
dirigea vers les escaliers. Il avait juste envie d’hurler.
En quelques minutes, sa vie avait basculé. Il aurait aimé
dire à Tom de tout laisser tomber, sa vie n’avait pas de prix. En tout cas pas
celui du sérum de la rabasse. Mais Tom avait disparu, le laissant avec son
désespoir.
En descendant, il vit arriver vers lui, dans l’escalator
montant, un Japonais avec des lunettes noires et sans appareil photo. A coup
sûr, c’était un homme de Furuya ou
peut-être même Yokitori. Michel sentit la sueur couler le long de son
dos, sur ses tempes. Ses jambes se mirent à trembler.
Surtout ne rien montrer, rien, aucun signe. Surtout ne pas
le regarder. Juste tenir. Son envie de crier était la plus forte, mais il
serrait la mâchoire à s’en faire mal. Il avait peur pour Tom. Qu’allait-il
faire ? Où allait-il se cacher ? Et pendant combien de temps ?
Et lui, avec cette bombe à retardement dans la poche, quelle décision allait-il
prendre ? La détruire ou l’utiliser comme le souhaitait Tom ? L’heure
n’était pas à la réflexion, il verrait plus tard.
Il arriva au rez-de-chaussée. Il avait l’impression de voir
des Japonais partout et d’avoir le premier rôle dans un mauvais film de série
B. Il sortit enfin du magasin et décida de rentrer à pied. Il lui faudrait au moins
cela pour retrouver son calme.
Il marchait rapidement. Les vitrines de Noël n’attiraient
pas son regard. De toute façon, une foule compacte s’agglutinait devant elles.
Il faisait nuit, le froid le saisit, sa tête se mit à tourner. Trop d’émotions,
sans doute. Il eut le sentiment qu’il n’arriverait jamais à son domicile et
regretta de ne pas avoir pris un taxi. Il était pourtant en haut de la rue
Tronchet.
Tout en marchant, il se retournait, croyant voir le Japonais
de l’escalator. « Bon sang ! Tous ces Japonais se ressemblent. » Il
courut, piqua à droite pour atteindre la rue de Surène et rejoindre la place
Beauvau. Il se sentit rassuré de côtoyer quelques uniformes et fut tenté d’en
arrêter un pour lui parler de la situation. Non, il ne pouvait pas, il le
prendrait sûrement pour un fou. Comment expliquer à un flic que son meilleur
ami avait mis au point une formule pour cultiver la truffe noire en continu et
en grande quantité ? Un pan entier de l’économie d’une région allait
s’effondrer et pour peu qu’il soit du Sud-ouest ou provençal, il allait lui
faire passer un mauvais quart d’heure, pensant à une plaisanterie. Toute cette
histoire était démente. Non, le mieux était qu’il rentre chez lui, à tout prix.
Il se remit à courir. Enfin, la rue Miromesnil ; encore
quelques mètres, il serait chez lui, à l’angle de la rue de Lisbonne. Il
reconnut son immeuble. Instinctivement, il leva les yeux vers le 4ème étage,
plongé dans le noir. Tout était normal. Enfin il allait pouvoir souffler,
jamais il n’avait eu aussi peur de sa vie.
Avant de faire le code, il regarda une dernière fois à
droite, puis à gauche : personne et surtout pas de Japonais. Il entra, se colla
à la porte cochère, respira à plein poumons ; l’angoisse lui serrait toujours
la gorge. Réfléchir, il lui fallait réfléchir, se disait-il en serrant dans sa
main la clef USB et la fiole ; tenter de retrouver son calme et se poser.
Il prit l’escalier, 1er, 2ème, 3ème, son cœur commençait à
retrouver un rythme plus régulier. A l’approche du 4ème niveau, il fut tétanisé
par une odeur, cette fragrance si particulière, ce parfum, le même qu’il y a
trois jours dans le hall que portait cette femme.
Non, c’est impossible, c’est effrayant, le cauchemar
continue. C’est un mauvais rêve, je vais me réveiller, se disait-il. Non, tout
cela n’existe pas, n’a jamais existé. Je deviens fou, pensait-il, pourtant la
fiole du sérum qu’il tenait dans sa main le ramenait à la dure réalité. Son
cœur était à nouveau sur le point d’exploser. Il ouvrit la porte de son
appartement avec beaucoup d’appréhension. Tout semblait normal, sauf ce parfum
qui flottait dans l’air et qui le plongea dans un état de tension extrême.
Tout à coup, la lumière du salon s’alluma et il entendit : «
Surprise ! ». C’était Tom hilare et la belle inconnue qui lui souriait.
Michel hébété était KO, sonné comme un boxeur. Il comprit qu’il avait été le
jouet de Tom. Ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre tout à la joie de se
retrouver. La tension que Michel avait emmagasinée depuis trois jours retomba. Il
s’effondra dans un fauteuil, heureux de comprendre que Tom lui avait monté le
plus grand canular de tous les temps.
Puis il se ressaisit : « Bouffon, tu mériterais que je te
mette mon poing dans la figure. J’étais mort de peur avec cette histoire de
dingue. Ça fait trois jours que je ne vis plus. » Tom, toujours souriant, lui
dit : « Je te présente la belle brune qui occupe toutes mes pensées depuis un
an : Lucia. » Dans un français parfait, elle lui dit bonjour, l’embrassa
chaleureusement avec un sourire ravageur. Michel était conquis.
Après quelques explications bon enfant sur la conception de
cette farce et l’imagination débordante de son ami, autour d’une coupe de
champagne, Michel demanda : « Et la clef USB, et la fiole de sérum ? » en les
sortant de sa poche.
« Ah ! Ça, c’est la vraie surprise ! », lui répondit
Lucia. Tom repris : « Le flacon, juste un peu d’eau avec un herbicide
ordinaire. Par contre, sur la clef USB, tu trouveras notre faire-part de
mariage, dans deux mois à Florence ».
Michel n’en croyait pas ses oreilles. Des deux irréductibles
célibataires, Tom avait succombé le premier.
S’adressant de nouveau à Michel : « Voudrais-tu être mon
témoin ? »
- Bien sûr, tu ne pouvais pas me faire plus plaisir, lui
répondit Michel.
Puis Lucia, les yeux brillants de joie et de fierté, lui
demanda en posant ses mains sur son ventre arrondi : « Je serais heureuse si
vous acceptiez d’être le parrain de notre enfant. Nous avons choisi de
l’appeler « Michèl (e) », il ou elle sera là dans six mois ».
Une larme au coin de l’œil, Michel répondit : « Oui » en
embrassant la future maman et lui glissa à l’oreille : « Tom a beaucoup de
chance ! »
Ils étaient tous les trois émus. Tout n’était plus que joie,
rires, fous rires entre les deux amis retrouvés et Lucia.
« Bon, ce n’est pas tout, mais j’ai faim... Et si je vous
emmenais dîner à « la Maison de la Truffe » ?
Dans des éclats de rire, ils dévalèrent l’escalier. Sur le
chemin, observant avec beaucoup de tendresse les amoureux, Michel réfléchissait
: « Qu’est-ce que je vais pouvoir inventer ? Il me reste à peine deux mois pour prendre ma
revanche. »
Par
Shinez
Michel, intrigué, n’ose ouvrir la
lettre. Il en meurt pourtant d’envie et d’inquiétude.
Il cuisine, cuisine encore et encore,
mais la lettre cachetée l’appelle.
Et hop, enfin il l’ouvre, et n’ose
croire ce qu’il lit ! Tom, cela ne lui dit rien... Mais comment cela
peut-il lui arriver, à lui ? Comment
est-ce possible ? Sa passion va peut-être enfin le propulser au sommet de
son art...
Sa cuisine, des millions de personnes
l’ont vue sur le Net, et ce Tom... Il va faire sa réputation culinaire, enfin,
c’est ce qu’il imagine.
Lui, Michel de Rio, a été choisi comme
chef cuisinier de la Maison Blanche. Il va faire connaître et apprécier la
gastronomie française. Est-ce un canular ? Mais non, il a une missive
officielle de Mr Obama.
Il reste bouche bée et se met à
envisager ce fabuleux privilège dont il n’aurait jamais osé rêver. C’est un
beau cadeau pour ses 35 ans.
De ce pas, il va remercier ce Tom sur
Internet en lui envoyant la photo de son plus beau plat.
Puis il
accepte cette belle destinée : et si c’était vraiment la
réalité ?
Par
Simone
Une étrange enveloppe
Il déambule dans les allées de Jolymarket. A 35
ans, Michel de Rio s’extasie toujours devant les étalages de produits plus
attractifs les uns que les autres. Tout comme il aime les jours d’automne, il
aime cuisiner, et son regard s’arrête sur chaque sachet d’épices, chaque
légume, chaque fruit qui lui permettront de réussir ce plat qu’il aura
soigneusement élaboré.
Il est en contemplation devant un magnifique panier
de fruits, savamment composé par les commerciaux pour que les badauds
succombent à la tentation.
Michel regarde chaque fruit, hume leur odeur, quand
tout à coup, un inconnu l’aborde. Il sursaute, se retourne et dévisage
longuement cet intrus : imperméable bleu marine, chapeau noir et lunettes
de soleil. Cet individu ne lui dit rien qui vaille… Il se présente :
« N’ayez pas peur, je m’appelle Serge Lafosse et je dois vous remettre une
lettre, de la part de Tom. »
Surpris, un rien agressif, Michel répond qu’il ne
connaît pas de Tom.
L’autre rétorque :
- Il vous connaît, lui.
- Moi ? Non, vous devez vous tromper de
personne.
- Ecoutez, on m’a dit de vous remettre cette
lettre, je vous la remets. Sur ce, salut !
Il pose la lettre dans les main de Michel et s’en
va.
Interloqué, Michel prend la lettre, la retourne
dans tous les sens, la palpe, la renifle sans l’ouvrir. C’est une grosse
enveloppe, épaisse et lourde. Il hésite, s’apprête à la décacheter et
finalement aperçoit une poubelle où il décide de la jeter. Arrivé au parking,
il est soudain pris de remords. Peut-être passe-t-il à côté de quelque chose
d’important ? Il se met à courir, retourne au magasin en espérant que
personne ne l’ait subtilisé. Arrivé devant la poubelle, le cœur battant, tout
essoufflé, il se penche et l’aperçoit. Il la saisit, l’ouvre brutalement…
Stupeur !... Des liasses de billets de 50
euros… Il compte, fébrile. Il y en a pour 200 000 euros. Il examine à nouveau
attentivement le contenu de l’enveloppe. Aucun mot d’accompagnement, rien !...
Il retourne à sa voiture, rentre chez lui, perplexe. Il décide de rester près
du téléphone se disant que son « généreux » donateur va peut-être
l’appeler pour lui révéler son identité. Toute la journée, il attend. Tout à
coup, à 22h, le téléphone sonne. Il décroche, rempli de crainte. Son
interlocuteur ne se présente pas. Il jappe :
- T’as le fric ?
- Oui. Que dois-je faire ?
- Rendez-vous ce soir, à 23h, au café de la Gare.
- Comment vous reconnaîtrai-je ?
- T’inquiète ! Moi, je te connais… »
Et il raccroche. Michel, éberlué, s’interroge. -
Que dois-je faire ? Téléphoner aux flics ? En parler à Véro ?
Non, c’est trop dangereux...
Il ne veut pas la mêler à une sombre histoire.
Aller au commissariat ? Non, ce serait trop bête de ne pas profiter de toute
cette oseille. Il enfile jeans, tee-shirt et baskets, et part d’un pas décidé
au café de la Gare. Il attend. 22h30, personne. 23h30, personne. Minuit,
personne. Il retourne chez lui. Cette histoire est incompréhensible. A 1h, le
téléphone sonne. Il sursaute, décroche et s’exclame : « Vous vous moquez
de moi ! »
L’autre éclate de rire et répond : « Je
t’attends, demain à 7h, au parking où est garée ta voiture ». Puis il
raccroche brutalement. Une nouvelle fois sonné, Michel se demande qui est ce
type qui a l’air de si bien le connaître. Et il s’endort d’un sommeil lourd,
rempli de cauchemars.
Le lendemain, à 6h30, il saute dans ses baskets en
espérant ne pas faire chou blanc. Il arrive près de sa voiture, et aperçoit un
individu assis tranquillement sur le capot. Casquette, lunettes noires, grand
manteau, l’homme est impossible à reconnaître. Il s’approche en tremblant en se
demandant quel acte illégal il va devoir commettre pour garder cette coquette
somme. L’inconnu s’adresse à lui d’une voix sourde et grave. « Tu devras
obéir à la lettre à mes ordres, si tu veux garder des ‘‘biscuits’’… ».
Michel attend, le cœur battant, les explications.
« Tu vas parcourir toute la ville à pied à partir de 20h ce soir. Tu
donneras 200 euros à chaque SDF que tu croiseras. Ensuite, tu iras à la maison
de retraite et là, tu feras la même chose : 200 euros pour chaque petit
vieux. Le reste sera pour toi. »
Michel regarde fixement l’énergumène.
« Ce n’est pas de l’argent sale, au
moins ? »
L’autre ricane :
« Si ça t’intéresse, ce sont mes
économies... »
Michel n’insiste pas. Il retourne chez lui et, la
nuit tombant, se prépare à sa mission nocturne. Il commence, comme convenu, par
les SDF, puis se rend à la maison de retraite. En sortant, il constate qu’il
lui reste plus de la moitié de la somme. Plongé dans ses pensées, il continue
de marcher et arrive devant l’orphelinat. Ses pas le guident machinalement
devant la porte. Il appuie sur la sonnette, entre et très vite, dépose l’argent
restant dans la boîte aux lettres. Puis il part en courant.
Il monte quatre à quatre ses deux étages et
soudain, découvre son interlocuteur sur le palier. Celui-ci le prend dans ses
bras et lui dit : « Je le savais… Je savais que tu le ferais… »
Quand Michel se glisse comme d’habitude seul dans son lit, une immense joie
l’envahit : il avait gagné plus que de l’argent… Il avait gagné un
ami !...
Par
Valérie
Michel de Rio
Le 29 octobre au soir, Michel de Rio se regarde une dernière fois dans
la glace, rajuste sa cravate et resserre sa ceinture sur son vieux pantalon de
flanelle. Il ne sait pas comment s’habiller aujourd’hui. Il vide sa garde-robe.
Pour cette occasion, le choix est important. On ne passe pas souvent à la
télévision. Et pourtant lui a été choisi comme « hôte de qualité »
dans l’émission « Un dîner presque parfait ». Alors, un dernier coup
de peigne et il sort, se dirigeant vers un grand magasin en espérant y trouver
des accessoires pour son décor. Michel, timide, 35 ans, adore inviter ses amis,
faire un Pictionary et boire un petit apéritif en leur compagnie en refaisant
le monde. Il se remémore cette soirée particulière où Marylin était venue,
toujours aussi belle, ses cheveux blonds bouclés délicieusement posés sur ses
épaules, ses taches de rousseur lui donnait un air mutin, un côté teenager. En
marchant entre les rayons, il repensait à cette soirée comme si elle avait eu
lieu hier. Lui et elle s’étaient connus à l’école, plus précisément au lycée
Jacques Prévert, mais la vie avait décidé qu’ils ne suivraient pas les mêmes
chemins. Ce soir, elle pourrait être fière de lui. Il a réussi un casting. Il
l’imagine lui présentant ses connaissances : un bel homme d’origine mexicaine
qui le salue du haut de son mètre quatre vingt et de ses yeux de braise.
L’homme s’avance pour lui serrer la main et, avec désinvolture, lui remet dans
la poche un petit mot de la part d’un certain Tom. Michel regarde partout pour
voir si quelqu’un les a vus. Il réalise alors brusquement qu’il est dans les
rayons du magasin pour trouver des accessoires et il prend une décision :
il fera sa table aux couleurs du Mexique. L’émission sera tournée dans trois
jours. Michel a largement le temps de flâner dans le Champion.
Tout à coup, il se souvient qu’au cours de cette même soirée, Marylin
lui a présenté Jerry, le copain de Tom. Et qu’il n’a pas pris le temps de lire
le mot du Mexicain. Alors, il s’est débarrassé de ses invités pour pouvoir se
plonger tranquillement dans le mystérieux message. Il sort alors le petit
papier de sa poche et tout excité, l’ouvre. Il y était écrit :
« Michel, tu es l’homme de ma vie, mais je n’arrive pas à résister au
charme de Jerry. » Michel ne s’attendait pas à une telle lettre de rupture
juste avant de passer dans l’émission. C’est décidé ! Il préparera un
chili con carne, des tortillas. Et il pousse son caddy dans les allées du
supermarché en pensant que ça suffit pour aujourd’hui, pourvu qu’il ne croise
ni Tom, ni Jerry, ni Marylin, ni surtout, le Mexicain aux yeux de braise...
Le suspens, bien distillé, des histoires de Krysta et Simone m'a fait les dévorer pour connaître la suite.
RépondreSupprimerSaki