vendredi 19 avril 2013

Le récit se passe dans un grand magasin, un soir d’automne. Le personnage principal est âgé de 35 ans. Il se nomme Michel de Rio, est sans profession. Son passe-temps favori : cuisiner. Il y a trois jours, un étranger lui a remis une lettre de la part d’un certain Tom...



Par Golem 
Michel de Rio

Après bien des tergiversations, il a cédé à la curiosité. Il marche vite sur le trottoir car il pleut très fort. Le froid est vif. Le rendez-vous est fixé à 18h. Il y a trois jours, un homme qui lisait les noms sur les boîtes aux lettres lui a remis cette enveloppe qui lui était destinée. Un courrier signé Tom qui ne ressemblait pas à ces pubs ou à ces blagues que ses amis lui faisaient parfois à cause de son nom. « Vous avez été retenu avec cinquante autres candidats pour participer au jeu-concours organisé par le grand magasin Au Bonheur des Dames. » Il ne sait pas de quel concours il s’agit : il ne s’est fait inscrire nulle part. Bien sûr, il a téléphoné mais la jeune femme (sa voix était agréable) qui lui a répondu a rapidement dit : « Oui, monsieur de Rio, vous êtes bien sur la liste des candidats. »
Enfin, le magasin. La pluie lui glace le dos. Il va pouvoir se réchauffer dans la chaleur ambiante. Des yeux, il cherche l’escalator. Voilà. Deuxième étage aile gauche. Il est presque à l’heure du rendez-vous. Il zigzague parmi les blousons et les manteaux qu’il n’a pas les moyens d’acheter. Il n’y avait pas de bon de réduction avec la lettre dans l’enveloppe. Ce n’était donc pas un moyen publicitaire pour le faire venir. Il circule maintenant parmi les pantalons, des étroits, des à pinces, des extensibles. Il est tenté de les palper, de les mettre près des fenêtres malgré le jour qui meurt. Tiens ! Une grande affiche : « Voyez notre rayon électroménager, faites-vous plaisir. Gagnez un séjour d’une semaine dans une île paradisiaque. Pour connaître les détails du règlement, adressez-vous à nos conseillers portant le badge concours ». Il hésite et reste là, se balançant d’un pied sur l’autre. Il n’osera jamais participer à un concours et pourtant, à 35 ans, il aimerait bien faire ce voyage. Il fait semblant d’être intéressé par le linge de maison. De bien jolis draps, d’agréables services de table. Malgré lui, Michel est irrésistiblement attiré par le matériel électroménager. Il s’est rapproché d’une femme qui porte sur son chemisier un badge distinctif. Au moment où il va enfin oser lui parler, une petite tape sur l’épaule le fait se retourner. Devant lui, son amie Marie, un grand sourire aux lèvres. Elle lui dit : « Je t’ai inscrit au concours ‘Soyez un chef’. Tu devras préparer un plat et un dessert. Toi qui aimes tant cuisiner, tu peux gagner un beau voyage... »


Par Krysia 
Invitation au bonheur

12h30. Je relève le col de mon manteau. En cette fin d’automne, le froid est particulièrement vif. « Ce n’est pas le moment d’être malade », pensais-je à voix haute. Je regarde ma montre et accélère le pas. Je suis en avance et connais parfaitement bien les lieux, mais le respect que je porte à tout ce que je fais me motive et puis, surtout, j’ai hâte de savoir. J’enfouis les mains dans mes poches, ressort à nouveau l’enveloppe qui me perturbe et la relis.

Michel,
Je vous connais mieux que vous ne me connaissez et pourtant !
Je vais prochainement me marier et j’ai grand besoin de votre passion pour m’aider.
Je vous propose de nous rencontrer le dimanche 8 décembre à 13h…

L’invitation est signée d’un certain Tom de Rio. Qui est-il ? Celui qui m’a remis la lettre en main propre ? Est-ce une coïncidence que l’auteur porte le même nom que moi ? Il connaît des détails sur ma vie, comment ?

Des odeurs de friture planent dans l’air frais. Involontairement, mon nez se tourne vers leur source. Le temps des fêtes, un stand de beignets, de gaufres et de chouchous se dresse dans un coin de l’immense parking.
Je sens mon pouls s’accélérer, une nausée me saisit, puis une envie de vomir. Mes jambes flageolent, je m’adosse au mur pour ne pas tomber. Depuis combien de temps n’ai-je pas mangé sérieusement ? Un café ce matin et une pomme pour le déjeuner. C’est tout ce que j’ai trouvé. Mon ventre se met à gargouiller pour se plaindre et me rappeler cette pitance maigrichonne. Je prends une grande inspiration pour me ressaisir.
La porte automatique du centre commercial s’ouvre à mon approche. Je ne prends pas de chariot. Cette année de chômage a été cruciale pour moi, alors pas question de se laisser tenter par les festivités de Noël. Et puis à qui pourrais-je bien offrir un cadeau ? Je n’ai ni femme, ni enfant. Mes parents sont décédés au début de l’année dans un accident de voiture, le jour de mes 35 ans. Leur enterrement a mis à mal toutes mes économies et il n’y avait pas d’héritage. Je chasse mes pensées douloureuses et m’oblige à me concentrer sur ma destinée.
Arrivé devant le magasin Thierry Armand, je m’arrête tout en restant à bonne distance de la vitrine.
Je consulte à nouveau ma montre : 12h45, tout va bien ! Je m’accorde le temps d’observer la cohue qui se bouscule autour de moi : une vieille dame crie dans le combiné du téléphone mural, deux jeunes hommes discutent sur un banc, une maman me bouscule avec son caddy sans s’en rendre compte, trop occupée à raisonner son enfant qui s’émerveille à chaque vitrine. Des mini stands chatoyants de toutes sortes sont implantés dans le hall. Les guirlandes électriques enlacées pétillent de mille couleurs dans toutes les devantures. Les lourds ornements habillent les magasins jusqu’à les transformer en parc d’attraction. Pas étonnant que le petit ne veuille pas rentrer ! Son enthousiasme contrarié m’émeut. J’aimerais tellement être riche, me déguiser en Père Noël, quelle que soit la période de l’année. Je ferme les yeux. Dans tout ce charivari, la musique de « Il est né le divin enfant » tente de résonner dans les hauts parleurs. Durant quelques secondes, elle me fait oublier que le temps du bonheur est loin. Je soupire.
J’ouvre les yeux, les illuminations m’éblouissent.
La vieille dame hurle toujours dans le téléphone. Elle doit sûrement communiquer avec son mari aussi dur d’oreille qu’elle. Les imaginer m’amuse. Les deux hommes sur le banc s’étreignent et s’embrassent à pleine bouche, doucement, longuement. J’ai l’impression que leurs langues s’emmêlent. J’aimerais tourner la tête mais je n’y arrive pas. La vingtaine de mètres qui me sépare d’eux me permet d’être un voyeur discret. Je m’autorise même à les détailler : l’un a les cheveux rasés et un survêtement. Il me fait penser à un para de l’armée. L’autre est plus fluet, lové dans sa posture, plus soigné dans son allure. Nul besoin de se demander quel rôle joue chacun d’entre eux.
Je ne peux m’empêcher de réfreiner un frisson de curiosité, peut-être même d’envie. Celle d’être si jeune, si libre, inconscient. Cette envie de vivre et de se battre pour des idées, tout simplement.
Soudain, le militaire se lève et lorsque nos regards se croisent, la torpeur m’envahit. Je le vois attraper la main de son petit ami et se diriger vers moi. Figé, je regarde le couple s’avancer. Je réalise que « Crâne rasé » n’est autre que le jeune homme qui m’a accosté devant ma boîte aux lettres trois jours plus tôt. Il entame le dialogue : « Michel, merci d’être venu. Je comprends votre surprise, mais laissez-moi vous présenter mon futur mari, ou plutôt, je le laisse se présenter ». Se tournant vers son amoureux, il poursuit : « Chéri, tu veux que je vous laisse ?
- Non reste, on n’a rien à cacher ! » répond le jeune homme frêle.
Ce dernier, s’adressant à moi, sourit en m’annonçant : « Vous ne vous souvenez plus de moi, j’imagine ? »
Perplexe, je fais signe que non, mes cordes vocales sont trop nouées pour que je réussisse à émettre un son.
-          Je suis Thomas, le fils de votre grande sœur. Mais par pitié, appelez-moi Tom.
-          Tom ! articulai-je péniblement.
-          Oui ! Le petit garçon que vous faisiez sauter sur vos genoux et que vous chatouilliez lorsque vous vouliez que j’arrête de manger les délicieux gâteaux que vous rameniez à votre sœur le dimanche.
-          Je... je suis désolé. Je ne vous avais pas reconnu.
-          C’est normal, plus de 20 ans ont passé et je ne suis plus un enfant. 
Puis, se tournant vers son compagnon et resserrant l’étreinte de leurs mains :
-  Je suis plutôt un homme heureux, et dans deux mois, je serai un mari comblé. Je vous présente Alexandre.
-          Vous pouvez m’appeler Alex, intervient Alexandre. Je ne vous ai pas trop inquiété l’autre jour, en débarquant chez vous comme ça ?
-          Si un peu !
Et,  me rattrapant, j’ajoute :
- Je veux dire... J’étais surtout intrigué. 
Mon neveu, la voix enjouée, reprend :
- Maman n’a jamais tari d’éloges à votre sujet. Elle n’a eu de cesse de me répéter que vous étiez doué pour la cuisine. Elle n’a jamais compris pourquoi vous vous étiez éloigné.
- Je suis désolé… 
- Elle n’attend pas d’explication, mais elle aimerait vraiment reprendre contact avec vous. Depuis la mort de grand-père et de grand-mère, elle vous recherche activement. Elle a fini par retrouver votre trace mais ne savait pas comment reprendre contact avec vous. C’est là que nous entrons en action.
Tom tend ses lèvres à Alex pour recevoir une dose de courage, puis il se lance :
- Les liens du mariage unissent deux familles, alors il serait juste qu’il réunisse aussi LA famille.
Il hésite.
 - Alex, maman et moi, on se demandait… 
Je suis captivé. Je l’encourage d’un mouvement du menton.
- On se demandait si vous seriez d’accord pour nous aider à préparer toute la partie traiteur et dessert de la cérémonie. J’ai appris que vous étiez sans emploi. Nous vous fournirons tout ce dont vous avez besoin et nous vous rémunérerons…»
Je l’interromps.
- Pas question d’être payé !  Je suis trop content de te retrouver, Tom. Et pour ma sœur… 
Les larmes commencent à noyer mes yeux et à m’étrangler. Thomas se jette dans mes bras et m’embrasse la joue si fort que je sens les os de ses hanches étroites cogner les miens. Je resserre mes bras autour de son corps pour prolonger ce moment magique qui me donne l’impression de renaître.

Je ne le savais pas encore, mais son bonheur contagieux eut un impact puissant dans la vie : la cérémonie se passa à merveille. Un patron restaurateur, présent parmi les invités, me félicita pour mes mets et entremets et m’offrit un CDI sans période d’essai. Quant à la photo qui trône sur ma table de nuit, le nourrisson choyé par la superbe femme, c’est modestement ma nouvelle famille. Tom est le parrain de notre enfant.


Par Laurence

Michel,
 
« Au secours, toi seul peut m’aider. Je suis en danger. Je serai à Paris le 15, retrouve moi  SEUL au rayon cuisine du Printemps Haussmann, stand Crisiel. Ne cherche surtout pas à me contacter. C’est une question de vie ou de mort. Souviens-toi de Monsieur Peligro. Tom. »
Deux jours après avoir reçu cette lettre, Michel était toujours sous le choc. Lui si actif était resté enfermé chez lui. Il ne cessait de penser à Tom, son ami. Dans quel guêpier était-il tombé ? Quelle menace planait sur lui ? Mille questions lui traversaient l’esprit.
C’était bien l’écriture de Tom. Cet appel au secours était très inquiétant. Il était certain qu’il venait directement de lui, car ils étaient les seuls à savoir que Monsieur Peligro était un code secret, inventé lorsqu’ils étaient enfants, pour signaler un danger.
Le lundi 13 novembre, en rentrant chez lui, après son jogging matinal, il avait remarqué une très jolie femme glissant une lettre dans sa boite. Tout lui laissait penser qu’elle était  italienne, son regard noir profond, cette élégance naturelle, habillée en Armani et ce parfum subtil : « Iria Pallida » nuance de violette et de bois précieux qu’elle avait laissé derrière elle,  parfum unique créé par le couturier à partir d’iris de Toscane.
S’il avait été plus réactif, il l’aurait bien invité à prendre un verre. Mais le temps d’y penser, la belle avait disparu.
Et puis cette lettre qui lui brûlait les doigts. Depuis, ses pensées le ramenaient sans cesse à Tom, plus précisément Tommaso Gazzoli.
Tom et lui s’étaient connus sur les bancs de la très chic « Pension de la Rose » à Lausanne.
Ils avaient 11 ans tous les deux, rentraient en 6è et partageaient la même chambre. Le fait d’être fils unique tous les deux, de parents trop occupés qui les avaient abandonnés pour leur bien dans cette institution les avaient beaucoup rapprochés.
Tom était le plus studieux, doué pour les sciences et les mathématiques. Michel était plutôt fumiste. Un goût commun pour le sport et les blagues de potaches, qui les avaient conduits plusieurs fois devant le conseil de discipline, avait définitivement scellé leur amitié.
Michel De Rio, seul héritier de la fortune familiale, n’avait pas beaucoup d’inquiétude pour son avenir. Après les disciplines sportives où il excellait, il  fournissait à ces autres professeurs le minimum syndical. Par contre,  il s’était enthousiasmé pour les cours de cuisine. Sa passion pour la gastronomie était née à ce moment-là.
Tommaso était issu d’une lignée d’industriels milanais, un scandale financier avait éclaboussé sa famille. Son père, qui avait tout perdu, se suicida un mois avant son baccalauréat. Malgré la terrible épreuve, Tom réussit brillamment son examen final avec mention.
Il était venu à Paris faire ses études de chimie et biologie à la Sorbonne. Il avait logé naturellement chez Michel qui bénéficiait d’un immense appartement rue de Lisbonne. Michel, pour le seul plaisir d’apprendre, avait travaillé dans les cuisines des plus grands chefs étoilés de la capitale, puis en province. Il avait ainsi côtoyé les plus grands : Guy Sovoy, Thierry Merx, Rabuchon, Marc Menot et surtout le pape de la cuisine, Monsieur Bacuse. C’est avec le chef Merx qu’il avait le plus d’affinités.
Il avait pour lui une profonde admiration, ce chef avait mis la cuisine au sein même de la société. Les gains qu’il percevait, comme jury d’une célèbre émission de télévision, lui permettait de créer des écoles d’insertion. Tout comme il se rendait une fois par mois dans des prisons pour dispenser son savoir à des détenus.
En ouvrant une bouteille de Chassagne-Montrachet, Michel repensait à ces années parisiennes, faites de fêtes, d’insouciance, de complicité. Avec Tom, le bonheur était si simple qu’ils inventaient des histoires loufoques pour distraire et faire rire leurs amis. Leurs répliques étaient toujours piquantes et s’enchaînaient sur un tempo parfait. Ils formaient un vrai duo. Ils partageaient tout, sauf leurs conquêtes.
Cette vie joyeuse et insouciante n’avait pas empêché Tom de devenir docteur en chimie et en biologie.
Puis il était retourné en Italie. Il avait choisi Florence. Il avait 27 ans. C’était il y a huit ans.
Ils se retrouvaient régulièrement pour des week-ends ou des vacances, entourés ou non de leurs amis, à la « Commanderie », fabuleux domaine dont Michel avait hérité à Mazan près de Carpentras.
Michel, lui, partageait son temps entre Paris et la Provence, sa passion : la cuisine, le sport et les femmes.
Même s’il avait beaucoup appris des grands chefs, Michel avait un don, il était tout à la fois cuisinier, saucier, pâtissier, ce qui était extrêmement rare.
Il réalisait des plats toujours plus extravagants mais savoureux ou alors il donnait au produit toute sa dimension dans une simplicité extrême. Il réunissait ses amis, ses relations autour de ses créations, ou bien il invitait autour d’une vaste table d’hôte de parfaits inconnus pour le seul plaisir de leur faire partager ces moments de bonheur. Pour lui la cuisine se vivait. Il aimait rendre les autres heureux.
Il  aurait pu être un chef étoilé et peut-être même un 3 « Macarons », mais il refusait les contraintes d’un restaurant. Il voulait rester un esthète libre. Il avait 35 ans et tout pour être heureux.
En se servant un 2ème verre de cet excellent bourgogne 92, ses pensées revenaient constamment vers Tom.
Il relisait sans cesse le message de Tom, cherchant un signe entre les lignes, un début d’explication qu’il ne trouvait pas.
Pourquoi  son ami était-il en danger ? Qu’avait-il fait ? Michel était plongé dans un abîme de  perplexité et surtout d’inquiétude.
Il avait, bien sûr, suivi la carrière de Tom. Brillant chimiste, il avait reçu plusieurs prix, comme celui de l’Académie des Sciences de Milan et Paris. Il publiait régulièrement dans les revues spécialisées, était reconnu dans sa spécialité de biologie moléculaire.
Michel s’installa à son bureau, alluma son ordinateur, cliqua « Tommaso Gazzeli »… Rien de bien important ne lui était arrivé depuis qu’il avait été pressenti pour recevoir le Nobel de chimie il y a un an. Le prix avait été attribué au japonais Yoriko Taniguchi.
Michel se souvint de leur  conversation  à ce moment-là. Certes, Tom était déçu mais il était jeune, il avait le temps de recevoir une telle récompense. En plaisantant, il avait même laissé entendre qu’il allait prendre un peu de temps pour s’occuper d’une jolie brune.
C’était il y a un an. A part quelques appels et deux ou trois week-ends passés ensemble, ils ne s’étaient pas beaucoup vus au cours des douze derniers mois.
Michel interrogea Facebook, Twitter : les deux comptes étaient fermés depuis un an. Ce n’était pas normal ; Tom, contrairement à lui, était addict aux réseaux sociaux.
Michel ne savait que penser et comment penser. Le rendez-vous était fixé au lendemain, 18 heures, au rayon cuisine du Printemps. Et pourquoi pas au rayon layette ? Et si tout cela était une plaisanterie, une vaste fumisterie dont Tom avait le secret ? Non, ce n’était pas possible. Tom ne pouvait pas faire une telle farce à son meilleur ami, lui faire vivre une telle angoisse, lui jouer une telle comédie. Non, pas à lui. Non, c’était trop grave. Michel chassa ses doutes, un peu gêné de soupçonner Tom.
La crainte d’un drame, d’un danger revenait sans arrêt rôder autour de lui. Ce soir-là, il n’eut aucun plaisir à déguster la brouillade à la truffe blanche qu’il venait de se préparer. Il repensait à son voyage en Toscane, le mois précédent, pour acheter sur le marché de San Minato, ces belles truffes d’Alba qu’il avait sous les yeux. Il s’en voulait de ne pas avoir pris le temps de rendre visite à Tom. Il finit la soirée en compagnie de la bouteille de vin, entamée avant le repas.
Il avait bien téléphoné à des amis proches de Tom mais curieusement, aucun n’avait vu ou parlé à Tom depuis plusieurs mois.
Las de ces deux journées éprouvantes qu’il venait de vivre, il se coucha, ne pensant plus qu’au lendemain, un peu apaisé à l’idée de retrouver son ami. La nuit fut entrecoupée de cauchemars et d’insomnies. La lecture de ses magazines préférés ne le calma pas.
Au petit jour, il se leva, décidé à aller courir au Bois de Boulogne. Une activité physique lui permettrait de prendre du recul sur ses craintes. Ensuite, il irait faire quelques longueurs à la piscine pour ne plus penser.
En rentrant, il décida d’annuler son déjeuner avec un producteur de confits de canard. Il n’avait pas le courage de l’écouter vanter la qualité de ses produits. Il préférait, pour se changer les idées, déjeuner chez son ami le chef Jean-François Piage dans le bistrot qu’il venait d’ouvrir aux Invalides. Lui seul savait préparer les légumes de saison comme personne. Il aurait peut-être la chance de déguster la dernière poêlée de cèpes du mois et goûter à son macaron rose litchi. Puis il irait à pied jusqu’à l’Opéra. Le temps était froid et sec. Paris avait revêtu ses habits de fêtes. La promenade aurait pu être belle, s’il n’y avait pas eu cette malheureuse échéance.
Il irait tromper l’attente au Grand Rex, proche du Printemps, quel qu’en soit le film. Le programme l’amènerait bien à la fin de la journée.
Le 15 novembre fut interminable. Michel pensa devenir fou.
A 17 h 30, il entra dans le magasin, il avait une demie heure d’avance. Les clients encombrés de paquets rouges se bousculaient, certains se dirigeaient vers les sorties en soufflant, d’autres couraient vers les escalators pour faire leurs derniers achats avant la fermeture.
Ses pas le guidèrent vers le centre du magasin. Sous la coupole trônait un sapin de 30 mètres de haut, splendide, décorés de boules multicolores. Il resta un long moment à contempler l’arbre de Noël. L’alarme de son portable lui rappela la réalité.
17 h 50, il prit l’escalier roulant, gravit les six étages dans une infinie tristesse. Les mêmes questions, sans réponse, le taraudaient depuis trois jours. Peut-être aurait-il  dû prévenir la police ? Non, Tom lui avait bien dit de venir SEUL.
Au rayon cuisine, il fut surpris de constater le nombre de touristes japonais avec des appareils photos autour du cou. Il demanda à une vendeuse le rayon des ustensiles de cuisine et finit par trouver le stand Cristel, le nec plus ultra en matière de cuisson. Il reconnaissait bien là son ami, toujours très attentionné. Mais l’humeur n’était pas à la légèreté.
Il regarda sa montre : 18 h. Son regard balaya le rayon. Aucune trace de Tom. Et si tout cela était encore plus grave qu’il ne l’avait imaginé ? S’il était arrivé malheur à Tom ? Il ne se pardonnerait jamais de ne pas avoir prévenu la police… Toutes ces pensées l’assaillaient lorsqu’il entendit derrière lui : « Michel, c’est moi ! Tommaso ! Surtout, ne te retourne pas ! ». A ces mots, Michel vacilla. C’était bien la voix de Tom, et il aurait reconnu entre toutes son eau de toilette : ils portaient tous deux le même Vétiver depuis des années.
« Je suis surveillé, ne dis rien, intéresse-toi aux poêles. Ecoute-moi bien, le temps m’est compté. Il y a un an, lorsque le Nobel a été attribué à Yoriko Taniguchi, nous avons sympathisé et avons décidé de mettre en commun certains de nos travaux sur les nanoparticules dans l’alimentation. Yoriko s’est installé dans mon laboratoire. J’ai compris assez vite que nos méthodes de travail étaient différentes. J’ai donc arrêté l’étude, il a continué seul les recherches.
Il faut dire que mon esprit était occupé par une idée folle. Tu te souviens peut-être que je t’avais dit que je m’intéressais à une jolie brune. J’étais fasciné par son goût et par le mystère qui l’entourait. Je lui ai consacré tout mon temps depuis un an. Et j’ai réussi, Michel, j’ai réussi ! J’ai élaboré un sérum qui garantit le développement continu de la TUBER.MELNOSPORUM.
Toi qui es gourmet, un artiste de la gastronomie, tu vas comprendre ! J’ai créé le diamant de la cuisine, tu imagines les conséquences de ma découverte.
Oui, Michel imaginait bien ; abasourdi, il articula : « Mais, tu es fou Tom, totalement fou ! »
« Tais-toi ! Ecoute-moi bien. J’ai découvert que la truffe noire, contrairement à celle d’Alba, possédait un appareil végétatif filamenteux continu, alors que pour tous les autres champignons, il est cloisonné. J’ai réussi à activer le mycelium de la truffe Tuber à partir de cellules. J’ai inséré des chloroplastes dans une cellule  eucaryote hétérotrophe. La greffe a pris, j’ai alors mis en culture cette substance  à base de truffe et les greffons dans un bain de colchicine, au bout de quelques temps des sécrétions de tuberculline sont apparues.
Après des tests in vivo aux pieds de noisetiers, chez moi, la première truffe noire est apparue en Italie. J’ai fait les mêmes tests chez toi à la Commanderie. J’ai traité les chênes avec le même sérum injecté dans les racines des arbres. Lorsque tu iras à Mazan, tu constateras que cette année, les rabasses sont partout.
Ça marche Michel ! J’ai réussi ! J’ai fait tous les calculs de rentabilité. Tu vas pouvoir produire des tonnes de diamants noirs. Finis les prix exorbitants au  kilo. Terminé le bâton et le cochon pour les trouver. Tu vas réaliser tes rêves d’enfant, rendre la gastronomie accessible à tous… Tu vas pouvoir ouvrir des écoles de cuisine… Leur apprendre à bien manger pour rester en bonne santé. Tu pourras même ouvrir des restaurants de qualité gratuits. Tu imagines ! »
Michel se rendait surtout compte que Tom avait perdu pied et était pris de vertiges en l’entendant raconter ses exploits.
Tom reprit : « Sans Yakitori, je serai l’homme le plus heureux du monde. Lorsqu’il s’est rendu compte de l’importance capitale de ma découverte, il a négocié avec un certain Koïchi Furuya la vente de ma formule pour cinq millions de dollars. Pour cela, il faut qu’il me la vole. Il se fait aider par les hommes de main de Furuya, qui est un parrain de la mafia japonaise. J’ai eu juste le temps de m’enfuir de Florence en emportant un flacon de sérum et une clé USB, les formules, les études y sont stockées, tout y est. Tu les trouveras entre la 3ème et 4ème casserole Lagostina, juste derrière toi. Attends que je parte pour les prendre. Je sais ce que tu penses. J’aurais pu détruire ma découverte, mais je n’ai pas pu, je n’en ai pas eu le courage. 
Terminé le mystère qui plane autour de sa création. Finies les légendes où l’on nous conte qu’elle naît des effets de la foudre ou qu’elle est le fruit des éclairs. Moi, j’ai réussi, même si je dois en payer le prix fort s’ils me retrouvent.
Souviens-toi Michel, il suffit justement de traiter les chênes avec le sérum injecté dans les racines.
Adieu Michel, j’ai confiance en toi. Je sais que tu feras de ma découverte quelque chose de formidable. Encore une chose, fais attention lorsque tu partiras, vérifie bien de ne pas être suivi. Au revoir Michel. »
Michel se retourna, fit exactement ce que Tom lui avait demandé. Il trouva la clef et le petit flacon, mit le tout dans la poche de sa veste. Puis comme un somnambule se  dirigea vers les escaliers. Il avait juste envie d’hurler.
En quelques minutes, sa vie avait basculé. Il aurait aimé dire à Tom de tout laisser tomber, sa vie n’avait pas de prix. En tout cas pas celui du sérum de la rabasse. Mais Tom avait disparu, le laissant avec son désespoir.
En descendant, il vit arriver vers lui, dans l’escalator montant, un Japonais avec des lunettes noires et sans appareil photo. A coup sûr, c’était un homme de Furuya ou  peut-être même Yokitori. Michel sentit la sueur couler le long de son dos, sur ses tempes. Ses jambes se mirent à trembler.
Surtout ne rien montrer, rien, aucun signe. Surtout ne pas le regarder. Juste tenir. Son envie de crier était la plus forte, mais il serrait la mâchoire à s’en faire mal. Il avait peur pour Tom. Qu’allait-il faire ? Où allait-il se cacher ? Et pendant combien de temps ? Et lui, avec cette bombe à retardement dans la poche, quelle décision allait-il prendre ? La détruire ou l’utiliser comme le souhaitait Tom ? L’heure n’était pas à la réflexion, il verrait plus tard.
Il arriva au rez-de-chaussée. Il avait l’impression de voir des Japonais partout et d’avoir le premier rôle dans un mauvais film de série B. Il sortit enfin du magasin et décida de rentrer à pied. Il lui faudrait au moins cela pour retrouver son calme.
Il marchait rapidement. Les vitrines de Noël n’attiraient pas son regard. De toute façon, une foule compacte s’agglutinait devant elles. Il faisait nuit, le froid le saisit, sa tête se mit à tourner. Trop d’émotions, sans doute. Il eut le sentiment qu’il n’arriverait jamais à son domicile et regretta de ne pas avoir pris un taxi. Il était pourtant en haut de la rue Tronchet.
Tout en marchant, il se retournait, croyant voir le Japonais de l’escalator. « Bon sang ! Tous ces Japonais se ressemblent. » Il courut, piqua à droite pour atteindre la rue de Surène et rejoindre la place Beauvau. Il se sentit rassuré de côtoyer quelques uniformes et fut tenté d’en arrêter un pour lui parler de la situation. Non, il ne pouvait pas, il le prendrait sûrement pour un fou. Comment expliquer à un flic que son meilleur ami avait mis au point une formule pour cultiver la truffe noire en continu et en grande quantité ? Un pan entier de l’économie d’une région allait s’effondrer et pour peu qu’il soit du Sud-ouest ou provençal, il allait lui faire passer un mauvais quart d’heure, pensant à une plaisanterie. Toute cette histoire était démente. Non, le mieux était qu’il rentre chez lui, à tout prix.
Il se remit à courir. Enfin, la rue Miromesnil ; encore quelques mètres, il serait chez lui, à l’angle de la rue de Lisbonne. Il reconnut son immeuble. Instinctivement, il leva les yeux vers le 4ème étage, plongé dans le noir. Tout était normal. Enfin il allait pouvoir souffler, jamais il n’avait eu aussi peur de sa vie.
Avant de faire le code, il regarda une dernière fois à droite, puis à gauche : personne et surtout pas de Japonais. Il entra, se colla à la porte cochère, respira à plein poumons ; l’angoisse lui serrait toujours la gorge. Réfléchir, il lui fallait réfléchir, se disait-il en serrant dans sa main la clef USB et la fiole ; tenter de retrouver son calme et se poser.
Il prit l’escalier, 1er, 2ème, 3ème, son cœur commençait à retrouver un rythme plus régulier. A l’approche du 4ème niveau, il fut tétanisé par une odeur, cette fragrance si particulière, ce parfum, le même qu’il y a trois jours dans le hall que portait cette femme.
Non, c’est impossible, c’est effrayant, le cauchemar continue. C’est un mauvais rêve, je vais me réveiller, se disait-il. Non, tout cela n’existe pas, n’a jamais existé. Je deviens fou, pensait-il, pourtant la fiole du sérum qu’il tenait dans sa main le ramenait à la dure réalité. Son cœur était à nouveau sur le point d’exploser. Il ouvrit la porte de son appartement avec beaucoup d’appréhension. Tout semblait normal, sauf ce parfum qui flottait dans l’air et qui le plongea dans un état de tension extrême.
Tout à coup, la lumière du salon s’alluma et il entendit : « Surprise ! ». C’était Tom hilare et la belle inconnue qui lui souriait. Michel hébété était KO, sonné comme un boxeur. Il comprit qu’il avait été le jouet de Tom. Ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre tout à la joie de se retrouver. La tension que Michel avait emmagasinée depuis trois jours retomba. Il s’effondra dans un fauteuil, heureux de comprendre que Tom lui avait monté le plus grand canular de tous les temps.
Puis il se ressaisit : « Bouffon, tu mériterais que je te mette mon poing dans la figure. J’étais mort de peur avec cette histoire de dingue. Ça fait trois jours que je ne vis plus. » Tom, toujours souriant, lui dit : « Je te présente la belle brune qui occupe toutes mes pensées depuis un an : Lucia. » Dans un français parfait, elle lui dit bonjour, l’embrassa chaleureusement avec un sourire ravageur. Michel était conquis.
Après quelques explications bon enfant sur la conception de cette farce et l’imagination débordante de son ami, autour d’une coupe de champagne, Michel demanda : « Et la clef USB, et la fiole de sérum ? » en les sortant de sa poche.
« Ah ! Ça, c’est la vraie surprise ! », lui répondit Lucia. Tom repris : « Le flacon, juste un peu d’eau avec un herbicide ordinaire. Par contre, sur la clef USB, tu trouveras notre faire-part de mariage, dans deux mois à Florence ».
Michel n’en croyait pas ses oreilles. Des deux irréductibles célibataires, Tom avait succombé le premier.
S’adressant de nouveau à Michel : « Voudrais-tu être mon témoin ? »
- Bien sûr, tu ne pouvais pas me faire plus plaisir, lui répondit Michel.
Puis Lucia, les yeux brillants de joie et de fierté, lui demanda en posant ses mains sur son ventre arrondi : « Je serais heureuse si vous acceptiez d’être le parrain de notre enfant. Nous avons choisi de l’appeler « Michèl (e) », il ou elle sera là dans six mois ».
Une larme au coin de l’œil, Michel répondit : « Oui » en embrassant la future maman et lui glissa à l’oreille : « Tom a beaucoup de chance ! »
Ils étaient tous les trois émus. Tout n’était plus que joie, rires, fous rires entre les deux amis retrouvés et Lucia.
« Bon, ce n’est pas tout, mais j’ai faim... Et si je vous emmenais dîner à « la Maison de la Truffe » ?
Dans des éclats de rire, ils dévalèrent l’escalier. Sur le chemin, observant avec beaucoup de tendresse les amoureux, Michel réfléchissait : « Qu’est-ce que je vais pouvoir inventer ? Il  me reste à peine deux mois pour prendre ma revanche. »


Par Shinez

Michel, intrigué, n’ose ouvrir la lettre. Il en meurt pourtant d’envie et d’inquiétude.
Il cuisine, cuisine encore et encore, mais la lettre cachetée l’appelle.
Et hop, enfin il l’ouvre, et n’ose croire ce qu’il lit ! Tom, cela ne lui dit rien... Mais comment cela peut-il lui arriver, à lui ?  Comment est-ce possible ? Sa passion va peut-être enfin le propulser au sommet de son art...
Sa cuisine, des millions de personnes l’ont vue sur le Net, et ce Tom... Il va faire sa réputation culinaire, enfin, c’est ce qu’il imagine.
Lui, Michel de Rio, a été choisi comme chef cuisinier de la Maison Blanche. Il va faire connaître et apprécier la gastronomie française. Est-ce un canular ? Mais non, il a une missive officielle de Mr Obama.
Il reste bouche bée et se met à envisager ce fabuleux privilège dont il n’aurait jamais osé rêver. C’est un beau cadeau pour ses 35 ans.
De ce pas, il va remercier ce Tom sur Internet en lui envoyant la photo de son plus beau plat.
Puis il  accepte cette belle destinée : et si c’était vraiment la réalité ?


Par Simone 
Une étrange enveloppe

Il déambule dans les allées de Jolymarket. A 35 ans, Michel de Rio s’extasie toujours devant les étalages de produits plus attractifs les uns que les autres. Tout comme il aime les jours d’automne, il aime cuisiner, et son regard s’arrête sur chaque sachet d’épices, chaque légume, chaque fruit qui lui permettront de réussir ce plat qu’il aura soigneusement élaboré.
Il est en contemplation devant un magnifique panier de fruits, savamment composé par les commerciaux pour que les badauds succombent à la tentation.
Michel regarde chaque fruit, hume leur odeur, quand tout à coup, un inconnu l’aborde. Il sursaute, se retourne et dévisage longuement cet intrus : imperméable bleu marine, chapeau noir et lunettes de soleil. Cet individu ne lui dit rien qui vaille… Il se présente : « N’ayez pas peur, je m’appelle Serge Lafosse et je dois vous remettre une lettre, de la part de Tom. »
Surpris, un rien agressif, Michel répond qu’il ne connaît pas de Tom.
L’autre rétorque :
-  Il vous connaît, lui. 
- Moi ? Non, vous devez vous tromper de personne.
- Ecoutez, on m’a dit de vous remettre cette lettre, je vous la remets. Sur ce, salut ! 
Il pose la lettre dans les main de Michel et s’en va.
Interloqué, Michel prend la lettre, la retourne dans tous les sens, la palpe, la renifle sans l’ouvrir. C’est une grosse enveloppe, épaisse et lourde. Il hésite, s’apprête à la décacheter et finalement aperçoit une poubelle où il décide de la jeter. Arrivé au parking, il est soudain pris de remords. Peut-être passe-t-il à côté de quelque chose d’important ? Il se met à courir, retourne au magasin en espérant que personne ne l’ait subtilisé. Arrivé devant la poubelle, le cœur battant, tout essoufflé, il se penche et l’aperçoit. Il la saisit, l’ouvre brutalement…
Stupeur !... Des liasses de billets de 50 euros… Il compte, fébrile. Il y en a pour 200 000 euros. Il examine à nouveau attentivement le contenu de l’enveloppe. Aucun mot d’accompagnement, rien !... Il retourne à sa voiture, rentre chez lui, perplexe. Il décide de rester près du téléphone se disant que son « généreux » donateur va peut-être l’appeler pour lui révéler son identité. Toute la journée, il attend. Tout à coup, à 22h, le téléphone sonne. Il décroche, rempli de crainte. Son interlocuteur ne se présente pas. Il jappe :
- T’as le fric ? 
- Oui. Que dois-je faire ?
- Rendez-vous ce soir, à 23h, au café de la Gare.
- Comment vous reconnaîtrai-je ?
- T’inquiète ! Moi, je te connais… »
Et il raccroche. Michel, éberlué, s’interroge. - Que dois-je faire ? Téléphoner aux flics ? En parler à Véro ? Non, c’est trop dangereux...
Il ne veut pas la mêler à une sombre histoire. Aller au commissariat ? Non, ce serait trop bête de ne pas profiter de toute cette oseille. Il enfile jeans, tee-shirt et baskets, et part d’un pas décidé au café de la Gare. Il attend. 22h30, personne. 23h30, personne. Minuit, personne. Il retourne chez lui. Cette histoire est incompréhensible. A 1h, le téléphone sonne. Il sursaute, décroche et s’exclame : « Vous vous moquez de moi ! »
L’autre éclate de rire et répond : « Je t’attends, demain à 7h, au parking où est garée ta voiture ». Puis il raccroche brutalement. Une nouvelle fois sonné, Michel se demande qui est ce type qui a l’air de si bien le connaître. Et il s’endort d’un sommeil lourd, rempli de cauchemars.
Le lendemain, à 6h30, il saute dans ses baskets en espérant ne pas faire chou blanc. Il arrive près de sa voiture, et aperçoit un individu assis tranquillement sur le capot. Casquette, lunettes noires, grand manteau, l’homme est impossible à reconnaître. Il s’approche en tremblant en se demandant quel acte illégal il va devoir commettre pour garder cette coquette somme. L’inconnu s’adresse à lui d’une voix sourde et grave. « Tu devras obéir à la lettre à mes ordres, si tu veux garder des ‘‘biscuits’’… ».
Michel attend, le cœur battant, les explications. « Tu vas parcourir toute la ville à pied à partir de 20h ce soir. Tu donneras 200 euros à chaque SDF que tu croiseras. Ensuite, tu iras à la maison de retraite et là, tu feras la même chose : 200 euros pour chaque petit vieux. Le reste sera pour toi. »
Michel regarde fixement l’énergumène.
« Ce n’est pas de l’argent sale, au moins ? »
L’autre ricane :
« Si ça t’intéresse, ce sont mes économies... »
Michel n’insiste pas. Il retourne chez lui et, la nuit tombant, se prépare à sa mission nocturne. Il commence, comme convenu, par les SDF, puis se rend à la maison de retraite. En sortant, il constate qu’il lui reste plus de la moitié de la somme. Plongé dans ses pensées, il continue de marcher et arrive devant l’orphelinat. Ses pas le guident machinalement devant la porte. Il appuie sur la sonnette, entre et très vite, dépose l’argent restant dans la boîte aux lettres. Puis il part en courant.
Il monte quatre à quatre ses deux étages et soudain, découvre son interlocuteur sur le palier. Celui-ci le prend dans ses bras et lui dit : « Je le savais… Je savais que tu le ferais… » Quand Michel se glisse comme d’habitude seul dans son lit, une immense joie l’envahit : il avait gagné plus que de l’argent… Il avait gagné un ami !...


Par Valérie 
Michel de Rio

Le 29 octobre au soir, Michel de Rio se regarde une dernière fois dans la glace, rajuste sa cravate et resserre sa ceinture sur son vieux pantalon de flanelle. Il ne sait pas comment s’habiller aujourd’hui. Il vide sa garde-robe. Pour cette occasion, le choix est important. On ne passe pas souvent à la télévision. Et pourtant lui a été choisi comme « hôte de qualité » dans l’émission « Un dîner presque parfait ». Alors, un dernier coup de peigne et il sort, se dirigeant vers un grand magasin en espérant y trouver des accessoires pour son décor. Michel, timide, 35 ans, adore inviter ses amis, faire un Pictionary et boire un petit apéritif en leur compagnie en refaisant le monde. Il se remémore cette soirée particulière où Marylin était venue, toujours aussi belle, ses cheveux blonds bouclés délicieusement posés sur ses épaules, ses taches de rousseur lui donnait un air mutin, un côté teenager. En marchant entre les rayons, il repensait à cette soirée comme si elle avait eu lieu hier. Lui et elle s’étaient connus à l’école, plus précisément au lycée Jacques Prévert, mais la vie avait décidé qu’ils ne suivraient pas les mêmes chemins. Ce soir, elle pourrait être fière de lui. Il a réussi un casting. Il l’imagine lui présentant ses connaissances : un bel homme d’origine mexicaine qui le salue du haut de son mètre quatre vingt et de ses yeux de braise. L’homme s’avance pour lui serrer la main et, avec désinvolture, lui remet dans la poche un petit mot de la part d’un certain Tom. Michel regarde partout pour voir si quelqu’un les a vus. Il réalise alors brusquement qu’il est dans les rayons du magasin pour trouver des accessoires et il prend une décision : il fera sa table aux couleurs du Mexique. L’émission sera tournée dans trois jours. Michel a largement le temps de flâner dans le Champion.
Tout à coup, il se souvient qu’au cours de cette même soirée, Marylin lui a présenté Jerry, le copain de Tom. Et qu’il n’a pas pris le temps de lire le mot du Mexicain. Alors, il s’est débarrassé de ses invités pour pouvoir se plonger tranquillement dans le mystérieux message. Il sort alors le petit papier de sa poche et tout excité, l’ouvre. Il y était écrit : « Michel, tu es l’homme de ma vie, mais je n’arrive pas à résister au charme de Jerry. » Michel ne s’attendait pas à une telle lettre de rupture juste avant de passer dans l’émission. C’est décidé ! Il préparera un chili con carne, des tortillas. Et il pousse son caddy dans les allées du supermarché en pensant que ça suffit pour aujourd’hui, pourvu qu’il ne croise ni Tom, ni Jerry, ni Marylin, ni surtout, le Mexicain aux yeux de braise... 




1 commentaire:

  1. Le suspens, bien distillé, des histoires de Krysta et Simone m'a fait les dévorer pour connaître la suite.
    Saki

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