Par Golem
Le camion avance,
s’arrête et, avant de redémarrer, accélère à fond tous freins serrés. Le moteur
hurle, les pneus arrière crissent. D’un coup, l’avant s’élève et retombe sur la
chaussée. Un hurlement jaillit des spectateurs agglutinés derrière les
barrières. Le camion fonce vers eux. Un premier choc. Il recule, reprend son
élan, fonce. Deuxième choc. Il recule encore. Le monstre paraît décidé à
écraser la foule. Rien ne semble pouvoir l’arrêter quand une jolie camionnette
rose s’approche à cinq mètres et lance quelques coups de klaxon. Le camion,
surpris, s’arrête, met un dernier coup d’accélérateur et s’arrête, lorgnant la
jolie demoiselle.
C’est fini, c’est
bien fini, tu ne mettras plus les pieds ici. Tu ne me raconteras plus que tu
passes le week-end en congrès à Biarritz ou à Nice. Tu ne m’appelleras plus à
deux heures du matin pour que je fasse le taxi à la sortie de la boîte où tu as
accompagné à ton corps défendant un client de Chine ou d’Orient. C’est fini, tu
as bien compris ? Je ne préparerai plus d’énormes pizzas pour tes amis fans de
football. Et enfin, c’est fini les tiercés et autres jeux que tu oubliais sur la
table en me laissant le soin d’aller les valider. Voilà. Tu as bien compris.
J’en ai assez c’est fini. Fini.
Je m’en vais, dit
Ferrer, je te quitte. Tu m’as pris trente ans de ma vie. Je suis arrivé
tout jeune, frais émoulu après mes études et des stages de qualification. J’ai
accepté toutes les tâches dégradantes sans la moindre rebuffade pour plaire aux
chefs, aux patrons, montant chaque échelon, après des nuits à étudier, à
m’investir. J’ai perdu ma femme, mes enfants ont déserté ma maison et moi j’ai vieilli
sans ami, sans passion. Alors aujourd’hui, Société de merde, je te quitte. J’ai
acheté trois sous une petite baraque de trois pièces près d’une rivière qu’on
dit poissonneuse. Non je ne te dirai pas où. Je te quitte, c’est tout.
Bon, c’est parti,
on a mis sur la place les tables et les bancs. Des nappes en papier ont été
tirées. Les extras sont alignés prêts à fondre sur les invités. Le DJ fait
crisser ses vinyles et lance l’introduction des chansons qui passeront tout à
l’heure. Les villageois arrivent timidement et s’assoient autour des tables. Le
maire et son staff apparaissent, un peu rouges déjà. Ça y est, ouvrons les
barriques, le vin nouveau est arrivé.
Par Krysia
Relation néfaste
« Je m’en vais, dit
Ferrer, je te quitte ! »
Accoudé au bar, le jeune Léo observe tristement le
quinquagénaire, ne sachant quel crédit donner à ses propos. Ferrer, soutenu par
ce regard, poursuit :
- Tu veux savoir pourquoi je m’en vais ?
N’osant le contrarier, le jeune homme acquiesce
discrètement.
- Parce que j’en peux plus ! Je… j’en ai marre, j’la quitte
! Tu peux pas comprendre ! Ça fait plus de vingt ans ! Elle aura ma peau !
J’veux plus !
Submergé par l’empathie, Léo pose une main bienveillante sur
l’omoplate de l’homme ivre, mais ce dernier fait un geste brusque pour se
dégager et crie :
- Arrête, ça suffit ! Pas la peine de me retenir ! Je
reviendrai plus jamais… Jamais plus ! T’as compris ?
Ferrer reprend son verre, le remplit avec le reste de la
bouteille de whisky, puis avale son contenu d’une traite.
- C’est… C’est bon ! C’coup-ci, je m’en vais vraiment,
je te quitte définiti…dé… définitivement ! Et c’est pas la peine de m’appeler,
j’te laisserai plus m’approcher !
Ferrer se lève péniblement, manque basculer en écartant sa
chaise du comptoir, sort et s’éloigne en titubant dans la nuit froide. Le
regard rempli d’incompréhension, Léo se tourne vers le barman qui, impassible,
essuie quelques verres.
- J’en connais une qui va déguster ce soir !
Le serveur sourit
avant de répondre :
- Non, c’est bon, il s’est défoulé ! Il reviendra demain me
refaire la même scène. C’est un grand classique chez lui !
Léo reprend :
- Il ne parlait pas de sa femme ?
- Non ! fait le barman amusé.
- Il parlait à son verre alors ? insiste Léo, étonné.
- Non ! Il parlait à sa bouteille ! Mais chaque jour,
ils se réconcilient...
Au suivant
Le camion avance,
obstrue ma rue, rendant la visibilité totalement inexistante. Point mort. Un
coup d’œil dans le rétroviseur ne me rassure pas : l’espace avec le camion qui
me suit ne me permet même pas de lire sa plaque. Ma Porche prisonnière en
sandwich, entre deux poids lourds, sur l’autoroute du sud un vendredi soir, n’a
rien du début de vacances tel que je l’avais espéré. Je soupire, puis tousse.
La fumée des pots d’échappement s’engouffre dans mon habitacle, malgré la
fenêtre fermée. Première, enfin ça roule ! Je passe la deuxième, puis freine,
point mort ! Que faire ? M’énerver ne servirait à rien, d’autant que les
chauffeurs de ces bahuts font en moyenne deux fois mon tour de taille. Au plus
ça me permettrait de hurler ma colère, mais je ne tiens pas leur servir ensuite
de défouloir. Alors je peste contre la puanteur, j’injurie le monde qui part en
même temps que moi rejoindre la mer et bous d’impuissance et d’impatience. Le
sifflement du camion devant moi m’indique que les freins sont lâchés, on
repart, j’embraie.
Une pancarte indique « péage à 800 mètres ». Voilà pourquoi
ça bouchonne ! Les voies se dédoublent, je quitte la file des limaçons pour me
faufiler derrière un coupé sport rouge. Son moteur vrombi comme un minet
trépignant pendant la période des reproductions, mais s’arrête derrière une
Super 5, qui elle-même est stoppée par une Twingo qui elle aussi…
Au guichet, ils progressent très lentement, un… à … un,
appliqué à sortir leur monnaie. Un véhicule passe, puis un autre et encore un
autre. Plus qu’une dizaine et ce sera enfin mon tour. Mon rétro m’informe de la
présence d’une trentaine de voitures derrière la mienne, d’une centaine
peut-être.
Je me sens soudain inutile, insignifiant, superflu. Comme ma
vie, je ne suis que le suivant d’un suivant et suivi d’un suivi. Quelle que
soit notre carrosserie, nous sommes tous à la même enseigne, que je sois là ou
pas ne change rien.
Bon, c’est parti ! Si
j’y mets un peu de bonne volonté et beaucoup de courage, j’y arriverai !
D’abord, il faut que j’enlève le chat qui s’est installé sur mes
jambes. Pauvre bête, il dort si bien depuis que le film a commencé !
Après, il faudra que je traverse le salon et que j’allume la lumière pour aller
jusqu’au lavabo de la cuisine. Oh là là ! J’ai peur de ce qui m’y
attend ! Est-ce que j’ai fait tourner une lessive cette semaine ?
Parce que si ce n’est pas le cas, je ne dois plus avoir de torchon
propre !
Avant de me lever, où sont mes chaussons ? Ah, je les vois, à
l’autre bout du canapé, évidemment !
Si je ne bouge pas Félix, je ne pourrai pas les attraper. Voilà qu’il
se met à ronronner. Il est trop mignon ! Mais bon, cette fois, il faut
vraiment que j’y aille parce que demain ma copine vient à l’appart. Ça fait
quinze jours que je ne l’ai pas vue. Pour nos retrouvailles, on a prévu de
déjeuner au resto, une balade à Montmartre et un ciné.
Je vais devoir me lever avant midi si je veux avoir le temps de
prendre une douche. Pppououou !
… Tiens c’est marrant, la dernière fois que j’ai fait la vaisselle,
c’était lors de sa dernière visite. Enfin, quand je dis j’ai fait, c’est plutôt
elle qui a fait, comme souvent ! Je ne peux pas lui faire le même coup à
chaque fois. Faut dire aussi, elle est tellement gentille !
Maintenant je me souviens, je n’ai plus de torchon ! Oh et puis
zut, on verra demain !
« Bon c’est parti
Félix ! On verra la vaisselle plus tard, là on va se coucher. Tu
viens ? »
C’est
fini, enfin !
…………………………………….
Qu’est-ce que vous attendez ?
Pourquoi vous me regardez comme ça ?
Il y a quelque chose qui ne va pas ?
Vous vouliez qu’il y ait une suite ?
Je vous ai dit que c’était fini ! Quand je dis que c’est fini,
c’est fini !
Arrêtez de me fixer avec vos yeux pleins de surprise et d’espoir !
Vous ne me croyez pas ou quoi ?
Vous vous imaginez dans une prolongation au foot ?
Ou dans l’histoire « C’est fini n°2 » ou « C’est fini,
le retour » ?
Vous voulez que je vous invente un truc pour faire durer le
plaisir ?
Ben non ! On n’est pas dans un film ! Là c’est accompli,
achevé, révolu, consommé, terminé, abouti.
Interruption, je vous dis ! C’est la fin, vous comprenez ?
F.I.N ou, si vous préférez, the end !
Comme vous voulez, mais en tout cas, moi, je vous rends mon travail
parce que j’ai vraiment fini.
Par Loubna
Bon, c’est parti ! Un
nouveau départ se prépare. Eh oui, la sortie de l’enfer sur terre s’achève pour
un univers plus épanoui. Loin de ce monde amer et tortueux, il existe un
endroit pour les cœurs amoureux… Je serai la plus heureuse près des miens et
loin de ce « coin » perdu, j’en serai toute émue.
Le camion avance. Me voilà
enchaînée, les mains, les pieds. Mes larmes se mettent à couler.
Direction Paris, vers un nouveau que j’espère meilleur qu’ailleurs.
Mais c’est l’inverse. L’averse.
Peu à peu je me reprends pour finir dans cet ailleurs meilleur.
Sans intention de m’évader, juste d’y arriver.
Par Laurence
- Je m’en vais, dit Ferrer. Je te quitte.
Elle m’avait
tout donné, tout, le bonheur, le succès, la notoriété. Elle était belle, douce,
joyeuse, j’ai travaillé dur pour la garder. Elle m’avait même donné une enfant,
merveilleuse petite fée blonde.
Un jour,
rattrapé par mes démons, je l’ai déshonorée, anéantie. J’ai été déloyal :
un faux pas fatal devenu engrenage infernal, la descente aux enfers. la
sanction était inévitable. J’avais trahi, je devais en assumer toutes les
conséquences.
Je t’ai alors rencontrée, toi qui me
lis aujourd’hui.
J’ai
toujours su que je te trouverai sur ma route. Tu étais inévitable. Tu m’étais
nécessaire. Tu m’as ouvert les portes de ta maison et tu m’as tendu les bras.
Tu as été ma
maîtresse pendant deux ans, pas la plus belle, non, mais la plus soignée, avec
des formes généreuses, toujours vêtue de bleu, ce bleu que tu me refusais. Je
n’ai pas cherché à te résister, je t’étais soumis, je faisais tout ce que tu
voulais, c’était l’ordre des choses et le poids de ma culpabilité.
J’ai vécu
avec toi sans jamais vraiment te comprendre, pas plus que tu ne souhaitais me
connaître réellement. Tu étais la force, la raison, j’étais le soumis. J’étais
un mendiant de tendresse, tu ne m’en as jamais donnée sauf peut-être un pâle
sourire quelquefois. Tu me disais que ce n’était pas ton rôle.
Certes, il y
a eu des mains tendues, mais seulement pour lutter contre la petite mort.
Le soir,
dans l’intimité de la chambre, j’ai souvent pleuré, la douleur de l’absence
était insupportable. Tu n’as jamais entendu mes cris de désespoir, de terreur
dans mes nuits verrouillées, je n’ai
reçu que le froid glacial de ton regard qui passait sans me voir.
Dans ta
maison tu m’appelais Ferrer, pour plus de simplicité, d’efficacité peut-être.
Pourtant j’ai un nom, il est beau : Antonio FERRERANDINI peut-être
difficile à prononcer pour toi, tu te contentais d’un FERRER, diminutif sec
comme une porte qui claque.
Je ne te
l’ai jamais dit, mais ma mère m’appelait affectueusement NINO, elle ne pouvait
pas s’imaginer qu’un jour je deviendrai FERRER. En dehors du sud, quel point
commun peut-il y avoir entre le chanteur, grand, blond à la voix éraillée et
moi ? Quelle ironie du sort !
Mais je
m’éloigne de mon propos, j’ai la certitude que cette lettre te laissera
indifférente ; J’avais besoin de te le dire : « Je m’en vais, je
te quitte », pas pour une autre, non, surtout pas et plus jamais. Je te
quitte pour retrouver mon âme, ma terre douce et généreuse. J’y retrouverai ma
jolie fée qui se languit, je prendrai sa main dans la mienne et nous pourrons
laisser les traces de nos pas dans le sable et marcher enfin vers le bonheur.
Toutes les
deux je les espère, je les attends, je compte les heures qui me séparent
d’elles.
Je veux
t’oublier à tout jamais, j’ose croire au bruit de cette immense porte de fer
qui s’ouvrira pour me laisser face « a moi liberta ».
C’est fini, la douceur de
vivre auprès de ta jeune maîtresse, mon Loulou.
Terminée, ta
douce idylle, la vie de château, le luxe, le confort rassurant, le nez enfoui
sous la couette, la tête sur l’oreiller moelleux.
L’euphorie
de vos « tête à tête », les câlineries, les baisers du matin, les
caresses griffues sur l’épaule qui disent « lève-toi, j’ai faim »
vont cesser.
C’en est
fini pour toi de t’étendre de tout ton long sur le lit ou bien de te lover en
boule parce que tu boudes. La belle vie, les belles nuits auprès de ton adorée,
tu les oublies. Ton air de chien battu ne la fera plus céder à tes désirs, même
tes démonstrations d’affection où tu exiges bras et caresses vont s’éteindre.
Tu as fait
avec elle tout ce qui était interdit. Bien calé en haut du lit, tel le mâle
triomphant :
As-tu pris
la place du maître ?
Protégeais-tu
ta maîtresse ?
Attendais-tu
inquiet mon retour ?
Peut-être
était-ce tout cela à la fois ? Mais Loulou, tout a une fin, même les
meilleures choses.
Je reviens à
la maison, je reprends ma place et toi tu retournes dormir dans ton panier au
pied du lit !
Par Valérie
Histoire d’amour
Je m’en vais, dit Ferrer, je te
quitte.
Je prends la nouvelle de plein fouet et, la larme à l’œil, je
réponds : « Ne t’inquiète pas, j’ai une vraie faculté à
occulter ; demain, je t’aurai oublié. Mais, dis-moi la vérité, tout ça, ce
n’est pas pour que nous nous réconciliions devant un bon repas aux
chandelles ? Dis-moi ! »
Et sans laisser l’occasion à Ferrer de s’exprimer, je rajoute :
« Ecoute, embrassons-nous et oublions ce que tu as dit. Après tout, si tu
le désires vraiment, quitte-moi la conscience tranquille. »
Après cette épitaphe, je tourne les talons rapidement en ajoutant de
façon cinglante : « Pardon mon chéri, je m’en vais, je te
quitte. »
Et là, il me retient et nous nous embrassons goulûment. (Surtout,
chers lecteurs, lectrices, ne voyez pas de similitude avec Mathilde Ferrer ou
le joueur de tennis).
The end
Le camion avance. Je suis
assise au milieu de la route, sur le goudron. Le conducteur a l’air
patibulaire, il est doté d’un physique impressionnant : cicatrice sur le
visage, le marcel dévoilant tous ses tatouages, la symbolique même du routier.
Il ouvre la porte du camion pour en descendre. A cet instant, je reprends mes
esprits et je pars en courant dans les champs avoisinants. Quelques mètres plus
loin, j’aperçois une maison. Le camionneur franchit en une enjambée la barrière
et avance d’un pas décidé derrière moi. La peur m’envahit, je me mets à
trembler de tout mon corps. La maison est encore loin, je cours, je tombe, je
m’égratigne les genoux. Le type continue, sûr de lui, tranquille. Comment en
suis-je arrivée là ? Je suis montée dans la voiture d’un copain pour qu’il
m’emmène à Lyon. Il en a profité pour mettre une main sur mes genoux, puis sur
ma cuisse. J’ai pris peur et je me suis mise à crier :
« Dépose-moi. » Mais il ne m’a pas écoutée pas et il a
recommencé de plus belle. Il a ri et il m’a dit : « Mais c’est
rien ! On se connaît. Tu peux me donner une récompense ! » Dans
ma tête, tout s’est embrouillé. Prise de panique, j’ai ouvert la porte et j’ai
sauté. Et maintenant, voilà où j’en suis : je cours dans un champ,
poursuivie par un routier avec une idée amère de ce qu’est l’amitié. Je
distingue heureusement l’enseigne d’un relais affichant le nom Chez Loulou. Mon
cœur s’emballe et mon imagination aussi. Je pense à tous les scénarios
possibles. J’arrive enfin. J’entre. Je vois une femme cheveux gras, avec de
grosses cernes noires, habillée d’une blouse sale et déchirée. Je m’empresse de
lui demander où est le téléphone pour appeler les secours. Tout à coup, mon
poursuivant est là, dans l’entrebâillement de la porte. La barmaid, voyant ma
réaction, me dit : « N’ayez pas peur ma grande, c’est mon père,
Gérard... »
Bon, c’est parti. Au moins,
je me débarrasse de cette dépression et je vois les gens et les choses comme
ils sont. Ni bons, ni mauvais. Seulement moyens.
Il pleut.
Je suis amoureuse et il est là, les yeux bleus pétillants, clin d’œil
à la vie, son amour dans sa poche qu’il sait ressortir à chaque fois que l’on
se voie. Mon cœur me fait mal et j’ai des douleurs à l’estomac qui se consume à
chaque fois que l’on s’embrasse ! C’est métaphysique !
Bon, c’est parti ! J’ai même envie de sourire. L’amour, je lui
avais tourné le dos depuis longtemps, allant de déception en abandon, d’abandon
en résignation. Bon, c’est parti, enfin je ris.
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