Par Golem
Monsieur,
J’ai d’abord cru que par erreur vous m’aviez envoyé le texte
d’un élève de CM1. Mais en lisant la fin de votre manuscrit, j’ai regretté que
cela n’ait pas été le cas. Eux au moins ont de l’humour, ne sont pas pédants ou
prétentieux. Vous voudrez bien revoir votre copie, pardon, votre texte, rien ne
peut être gardé.
Avec mes encouragements pour mieux faire.
Par Krysia
An de grâce 1897
Moussu* Alphonse DAUDET,
Je reçois ce jour votre manuscrit intitulé : « Les Lettres
de mon moulin ».
Sachez tout d’abord que je n’adhère pas au choix de votre
titre. Les moulins broient le blé pour la confection de la farine, pétrissent
du pain et peuvent éventuellement servir de point de vente en boulangerie et
viennoiseries, mais en aucun cas, un moulin n’écrit des lettres et encore moins
des histoires pour enfants !
Pour me faire à l’idée de votre style, j’ai pris au hasard
une histoire que je me suis forcé à lire entièrement : « La chèvre de M. Seguin
». Quelle déception !
N’avez-vous pas l’impression d’un grossier décalquage du «
Petit Chaperon Rouge » de Charles Perrault ? Vous me donnez l’impression
d’avoir manqué l’évolution des deux siècles qui nous séparent de ce talentueux
auteur ! Le choix de votre titre me semble bien naïf. Au lieu d’une chèvre pour
héroïne, vous auriez dû, avec le prénom Blanquette, choisir un veau !
J’interprète avec aisance le parallèle que vous avez fait
avec une adolescente qui veut quitter le confort douillet et la sécurité
rassurante de ses parents pour l’indépendance, l’aventure et la liberté. Mais
toutes nos jeunes filles ne sont pas libidineuses** !
Je comprends aussi la métaphore du père qui ne comprend pas
sa fille, le combat de celle-ci contre l’autorité sanglée et le courage pour
affronter la cruauté du monde, quitte à en mourir. Ne croyez-vous pas qu’en vous lisant, les
enfants s’angoisseront en reconnaissant leurs propres défauts, en découvrant
grâce à vous la banalité de leur existence?
Vous avez évoqué une idylle d’une heure ou deux avec un bouc
noir et une vie destinée à finir dans la souffrance. Vous voulez donc provoquer
une incitation au suicide de nos jouvenceaux avec votre récit ? Que
laissez-vous entendre ? Que doivent rester chez eux « l’âne et le bœuf » ?
Que toute vie hors du foyer familial est vouée à l’échec ?
Comprenez, Moussu Seguin, que je peux pas, en mon âme et
conscience, publier une opinion pareille. Il n’est vraiment pas raisonnable de
mettre toute la population mineure en danger pour vous octroyer le simple
plaisir de ne pas faire du pain dans votre moulin.
Je vous suggère vivement de revoir la conception de votre
roue et de votre meule afin de revenir ultérieurement avec des écrits moins
dangereux pour la société.
Recevez mes salutations,
Honorat LAGAFFE
Editeur
*« Moussu » était au
19ème siècle la façon de dire « Monsieur »
** « Libidineuses » : impudiques, libertines, indécentes,
dévergondées.
Par Laurence
Editions du Feuil
27 rue Jacob
Paris 6ème
Jean BARDOT
Editeur
Monsieur Albert COHEN
55 Quai du Rhône
Genève – SUISSE
Paris, le 8 avril 1968
Cher
Monsieur
J’ai lu avec beaucoup d’attention
votre dernier tapuscrit La Belle du
Seigneur
Il a été
déposé par porteur spécial à mon secrétariat le poids de l’ouvrage, un kilo à
minima a dû vous dissuader de l’adresser par la poste, pourtant le franc suisse
se porte bien en ce moment.
Aimant lire
à haute voix j’ai consacré toutes mes soirées de la semaine à vos personnages
Solal et Ariane installé confortablement dans un fauteuil car votre monument ne
se transporte pas facilement De ma carrière d’éditeur j’avoue ne jamais avoir
reçu et lu, car je l’ai bien lu, un texte de 1110 pages un pavé aussi pesant au
sens propre comme au sens figuré 1110 feuillets 110 chapitres pour narrer
l’histoire d’amour de la Belle du Seigneur je devrais dire de la Belle et de
son Seigneur
Votre roman
aurait pu tout aussi bien s’appeler « Le livre de l’amour » Vous ne
nous épargnez aucun poncif de l’amour malheureux, cette passion morbide
d’Ariane et Solal se distingue peu de celles de Tristan et Iseult, Roméo et
Juliette j’ai même retrouvé le machiavélisme de Valmont de Les
Liaisons dangereuses ainsi que tous les artifices et les pièges de Don
Juan, vous avez même parfois flirté avec Feydeau
En vous
lisant je pensais également à Marcel Proust par la longueur de vos descriptions
les sensations présentes mélangées aux souvenirs Certes votre récit est
entrecoupé de phrases très courtes et de dialogue mais ceci reste somme toute
très classique
Puis on
aborde le chapitre 18 avec un certain intérêt il s’agit de la conquête d’Ariane
par Solal mais là vous m’avez surpris j’ai failli manquer d’air une seule et
même phrase de 13 pages sans aucune ponctuation du jamais lu dans ma vie
d’éditeur et vous savez que j’ai quelques années de lecture à mon actif Surpris
par cette écriture peu académique j’ai pensé qu’il s’agissait d’un oubli voire
d’une lubie d’écrivain J’ai même pensé que la touche de votre machine à écrire
était restée bloquée
Mais pas du
tout vous recommencez au chapitre 70 une seule et unique phrase de 17 pages
pardonnez-moi mais je n’ai pas eu le courage de compter les mots qui la compose
(je crois que j’en aurais perdu mon calculus) Heureusement que quelques
virgules venaient soulager la voix du pauvre lecteur que j’étais totalement
sidéré par ce procédé littéraire j’ai continué me demandant si la lecture en
apnée serait mon lot et bien oui vous nous faites replonger dans un abîme de
mots qui s’enchaînent se déchaînent au chapitre 94 avec cette phrase de 33
pages sans un seul point un petit point
juste pour respirer voire un point d’exclamation ou mieux d’interrogation non,
rien, point de point dans ce chapitre
J’aimais la
prose avant de vous lire Monsieur Cohen je lui vouais un culte suprême mais je
vais très certainement me tourner vers la poésie les haïkus sont très en vogue
en ce moment
Vous pensiez
écrire sur l’amour sublimé je pense que vous avez fait fausse route en faisant
de votre héroïne une pauvre petite chose sous la coupe de la perversité
psychologique de son amant beau, cynique manipulateur même les larmes de cette
amoureuse vous les rendez ridicules la vision que vous avez de l’amour et plus
encore de la femme aurait mérité que vous l’évoquiez il y a quelques années de
cela avec votre ami Sigmund Freud, ce grand monsieur vous aurait très certainement
invité à vous étendre sur son divan Vous aurez compris toutes mes réserves à la
publication de votre dernier ouvrage je ne suis ni interventionniste ni
chirurgien esthétique les Editions du FEUIL ne vous éditeront pas
Non
seulement votre roman est à contre-courant de ceux qui sont actuellement
publiés mais encore dans la quiétude de votre belle Suisse vous ignorez sans
doute que la France gronde, gronde de colère les étudiants se révoltent le
féminisme explose tout comme l’écologie
D’ici peu,
je vous le prédis, nous lirons sur les murs « Il est interdit
d’interdire » la société française bouge depuis que Simone de Beauvoir a
écrit Le deuxième sexe son livre est
devenu la référence du mouvement féministe le rôle de la femme a évolué bientôt elles feront ce qu’elles veulent de
leur corps de leur liberté Vous pensez bien que la belle Ariane soumise aux
caprices de son tourmenteur au nom de l’amour n’aura que très peu d’écho et
donc peu de succès auprès des lectrices
Vous avez
fait de votre héroïne une petite chose aveuglée manipulée fade soumise à la
toute-puissance de son amant jusqu’à cette fin funeste des deux amants cet
adieu empoisonné et empoisonnant pour le lecteur
J’aurais
aimé lire que la femme est l’avenir de l’homme qu’une femme amoureuse en vaut cent
que par sa puissance sexuelle et son intelligence du cœur elle peut faire de
l’homme son égal
Non point de
tout cela (pardonnez-moi ce mauvais jeu de mot) entre l’ultra narcissisme des
deux amants et cette issue fatale votre roman ne s’inscrit pas dans l’air du
temps
Croyez que
je n’ai aucune envie de voir des féministes prendre d’assaut ma maison
d’édition pour avoir publié ce brûlot Pensez encore aux écologistes qui
pourraient occuper mes bureaux manifestant ainsi contre la déforestation de
l’Amazonie car il en faut de la pâte à papier pour éditer 1110 pages.
J’espère que
vous comprendrez ces considérations très matérielles
Ce roman
cher Monsieur Cohen sans vouloir vous blesser si vous arrivez un jour à le
faire publier n’aura jamais sa place dans le panthéon de la littérature
amoureuse
Pour
conclure cette longue missive je vous dirais il faut du souffle pour vous lire
Monsieur Cohen pour suivre et comprendre cette triste et pathétique histoire
Si Belle du Seigneur est la tragédie de
l’amour absolu le roman si je le publiais serait une véritable tragédie pour
les Editions du FEUIL
Vous ne m’en
voudrez pas de ne pas avoir ponctué ma réponse caprice d’éditeur sans doute
Veuillez
croire cher Monsieur à toute ma sympathie en vue du parcours du combattant qui
vous attend avec Belle du Seigneur
Jean Bardot
Par Valérie
Le 17 mai 2013
Objet : demande de publication du manuscrit la Bible
Madame,
Suite à votre courrier, je réponds à votre offre non sans fierté. La
société « Editplus » que je représente aurait pu être séduite, mais,
suivant certaines règles de déontologie, nous ne soignons pas les mêmes mots
que nos confrères. Un autre paramètre m’en empêche, la théologie ne fait pas
partie des écrits que je mets en avant. Je privilégie plutôt les futurs prix
Goncourt. Comme si l’on proposait du Hachette à Gallimard. Je serais très
heureuse d’éditer des recueils ou romans qui se trouveraient dans mes cordes et
je vous souhaite une bonne continuation dans votre recherche d’édition.
Cordialement,
Mme Untel.
Les textes de Krysia et de Laurence sont plein d'humour : j'adoore...
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