Par Krysia
Le
tableau de mon avenir
Dans son atelier, je rejoins Olivier, mon
meilleur ami depuis des années. Un peintre, un génie de cette espèce incomprise
qui ne connaîtra peut-être la gloire qu’après sa mort. Il exécute un ouvrage
depuis des mois. Il est donc inenvisageable de repousser le rendez-vous qu’il
me propose pour admirer en avant-première ce qu’il appelle « son enfant, son ambition, son avenir ».
La porte du hangar qui fait office de salle
de travail est entrouverte. Je l’appelle et, sans attendre la réponse, entre.
Un paysage forestier et montagneux s’impose avec force sur une toile
gigantesque qui recouvre presque la totalité de l’un des murs. La perspective
est si importante que le désordre de la salle paraît anodin.
Je me fraie un passage parmi les pots de
peinture à demi entamés, dont les couleurs dégoulinantes imprègnent sol et
étagères, et les pinceaux de tous calibres aux poils agglutinés de leur
dernière application ou trempés dans des pots de solvant. Involontairement, je
bouscule une planche posée sur un tréteau et fait rouler une pomme croquée, pas
encore oxydée. Cela veut dire que mon ami n’est pas loin. Je la ramasse, la
repose sur le plan de travail et, en attendant qu’il arrive, je décide
d’admirer le tableau sans retenue.
Passée la première surprise que provoque sa
taille, je constate que la fresque est apaisante dans son ensemble, chatoyante
dans ses teintes, intrigante dans ses détails, fascinante dans sa
représentation proche d’un réalisme absolu. Elle est peinte à la gouache, la
matière que je maîtrise le mieux.
Je m’approche et scrute ce panorama avec soin
en commençant par la gauche : une gorge taillée dans la roche se présente
comme un couloir pour pénétrer dans ce décor. Elle laisse le courant d’un
étroit ruisseau serpenter et entrer dans la forêt. Une végétation généreuse et
luxuriante reçoit tous les fruits de la terre, à un arbre près, qui semble
inachevé. Un pommier semble-t-il ?
Une population retranchée dans une clairière
danse une ronde autour d’un feu de bois. Pourquoi n’y a-t-il pas de barrière
autour de ce village ? Seuls de vastes enclos délimitent des espaces pour
des moutons que quelques bergers passent à la tonte, des vaches qui patientent
durant leur traite, des cavaliers s’amusant sur un parcours d’obstacles, tandis
que des bœufs labourent au loin un champ. Les maisons, en bois et en verre,
réfléchissent un soleil bienveillant.
Sur une grande table, de jeunes femmes
déposent des tartes, des biscuits, des plats de légumes panachés. Leurs yeux et
leurs sourires témoignent de la simplicité et la beauté de leur cœur. Les
enfants courent après les poules noires qui espéraient, peut-être, picorer
quelques miettes. Des rousses, à l’abri des turbulences enfantines, grattent la
terre pour becqueter quelques lombrics peu profondément ensevelis. Les anciens
de cette peuplade rôtissent un cochon, l’arrosant régulièrement d’une huile
qu’on devine aromatisée d’herbes de Provence, comme on arrose un projet de son
savoir. Quelques chats se prélassent sur une pierre, lézardant sous la douceur
de l’été ou se frottant sur les jambes des aïeux pour quémander bouts de viande
et caresses.
Des petits chiens patientent tranquillement,
assis au bord d’une mare. Ils paraissent bercés par le clapotis de l’eau que
des poissons frétillants animent ; d’autres, plus gros et plus sportifs,
s’adonnent à une course effrénée entre deux terriers pour apporter les lapins
qui serviront de civet et de couvertures.
Les écureuils et les papillons semblent être
là pour le plaisir des yeux et le mouvement des oiseaux et des cigales donne
presque l’impression de les entendre. Un petit monde qui tourne dans la paix
comme les abeilles autour de leur essaim pour confectionner sans stress leur
miel, qui fera un nectar dans les recettes des ménagères et contribueront à la
prolifération des fleurs.
Cette société se suffit-elle à
elle-même ? Est-ce qu’un mode de vie semblable peut encore exister sur
notre planète ?
Discrètement enfouis dans l’épaisseur des
feuillages, des câbles électriques se fondent dans le décor. Je ris. Olivier a
sans doute estimé que dans cette époque idyllique à de multiples égards, un peu
de modernité n’est pas superflue. Comme une touche futuriste pour compléter le
bonheur d’un passé regretté. C’est l’avantage de l’artiste de recréer une
planète à son image, en ajoutant à son gré tout ce à quoi il aspire et en
omettant volontairement ce qui ne lui convient pas. C’est ainsi que dans cette
arche de Noé, araignées et serpents, requins et piranhas, vautours et
moustiques sont bannis comme le furent les dinosaures.
Un monde écologique, vidé de toute inutilité.
Un paradis plus parfait que celui créé par Dieu.
Tout ce petit univers semble s’articuler à la
perfection. Mais l’homme reste le numéro un de la chaîne alimentaire et un
conquérant naturel. Mon ami, aussi fantasque soit-il, est une personne
intelligente. Aussi, arrivée à la moitié du tableau, ne suis-je pas surprise de
trouver, aux abords d’une grotte, une sorte de tribunal. Je reconnais là
l’influence que j’ai sur Olivier.
Je lui ai raconté un jour un rite de la tribu
des Babemba, en Afrique du Sud : quand une personne est à blâmer, agit
d’une manière irresponsable ou injuste, de nombreuses activités sont interrompues
et tout le monde se rassemble pour former un large cercle autour d’elle. Chaque
membre de la tribu s’adresse au rebelle à tour de rôle pour lui rappeler les
bonnes choses qu’il a faites dans sa vie. Chacun prend le temps de rappeller
consciencieusement toutes les qualités, les bonnes actions, la force et la
gentillesse dont cet individu a fait preuve. Cette cérémonie tribale dure
plusieurs jours. A la fin, le cercle est brisé, une fête est célébrée et le
repenti est symboliquement et littéralement accueilli à nouveau dans le groupe.
Je retrouve dans la fresque tous les éléments
de mon histoire et j’en suis fière.
Poursuivant mon exploration, je découvre une sorte de temple érigé non loin du « tribunal ». Des photos d’une violence inouïe y sont exposées : l’éternelle recherche du Bien qui pas ne doit jamais être totalement dissocié du Mal ? Se souvenir de ce dont on est capable pour souligner les attitudes à bannir dans un havre de paix exhaustif.
Poursuivant mon exploration, je découvre une sorte de temple érigé non loin du « tribunal ». Des photos d’une violence inouïe y sont exposées : l’éternelle recherche du Bien qui pas ne doit jamais être totalement dissocié du Mal ? Se souvenir de ce dont on est capable pour souligner les attitudes à bannir dans un havre de paix exhaustif.
A l’extrême droite du tableau, une autre
clairière, un autre groupe. Ont-ils les mêmes règles, les mêmes croyances, les
mêmes habitudes ? Le tableau ne le dit pas, laissant à ceux qui le
regardent le choix de l’inventer.
L’œuvre est magnifique, un voyage dans
l’espace-temps, le temps d’un fantasme. Une vision trop parfaite pour être
extraite de la réalité, mais une chimère réconfortante.
Soudain, une lueur brillante attire mon
regard. Je retourne auprès de la gorge d’où elle semble venir. La minuscule
lumière rayonne à nouveau. Troublée, je m’avance au plus près et là, caché
derrière le pommier incomplet, je crois distinguer un homme qui actionne un
miroir, comme s’il m’appelait. Amusée par mon imagination, je ne prête pas plus
d’attention que cela à ce drôle de bonhomme habillé d’une blouse tachée de
peinture. Je prends une chaise et m’asseois. Bien déterminée à ne partir
qu’après avoir discuté avec Olivier du ravissement que me procure sa toile.
A portée de ma main et à côté de la pomme
croquée, un petit pinceau trempé dans une couleur verte Granny me tente insolemment.
Que dirait mon artiste préféré si je mettais une petite touche personnelle dans
son travail ?
Rien sans doute car il aurait vite fait
d’effacer mon intervention si elle lui déplaisait. Je pousse mon audace jusqu’à
dessiner une pomme dans la main de l’inconnu. A peine ai-je terminé que le
fruit de la table disparait. Je regarde à mes pieds, pensant l’y trouver, mais
rien. Quand je me redresse, l’arbre du tableau plie sous le poids de ces
fruits. Ahurie par ce miracle de la multitude, je reste bouche bée jusqu’à ce
que la petite lumière me tire de ma fixité. Je renouvelle l’expérience et
dessine mes jambes et mes pieds. A leur tour, ils disparurent de ma vue sans
que je ressente la moindre douleur. Que se passe-t-il ? Le tableau est
magique, envoûté ? Ce monde parallèle, au côté d’Olivier, peut-il me
convenir ? Je poursuis en peignant ma robe et mon bras gauche. Le
phénomène se poursuit. J’achève de peindre mon corps en reproduisant mon
visage, puis mon bras droit, sans le pinceau, comme si je voulais laisser la
clef ici, de ce côté.
Une chaleur douce caresse ma peau, une odeur
de végétation m’incite à gonfler mes poumons, j’entends un chant joyeux
d’oiseaux exotiques qui poussent un cri victorieux. Mes yeux s’habituent
progressivement à quitter la grisaille de l’atelier. Une main se glisse
complaisamment dans la mienne, c’est celle d’Oliver, heureux, qui m’accueille
en dégustant sa pomme :
- Sois la bienvenue dans l’avenir tel que je
me le suis imaginé. Je n’ai pas eu le temps pour ce fruit, merci de ton
intervention… Pourquoi n’as-tu pas dessiné le pinceau ?
- J’ai compris que j’en aurais pas besoin.
Le sourire de mon ami s’élargit. Il m’invite
à longer le ruisseau pour atteindre le village. Je l’interroge :
« Bougeons-nous sur le tableau pour ceux
qui nous regardent ?
- Je ne sais pas ! C’est
important ?
- Plus maintenant !
Ils se marièrent et eurent beaucoup
d’enfants ? La toile ne le dit pas, mais laisse à ceux qui prennent la
peine de la regarder le choix d’inventer mon futur tandis que moi, je le
construis.
Par Laurence
Je rêve de prendre mon enfant dans mes bras
et lui dire : « C’est fini, je suis là, pour toujours... »
De la réveiller le matin et de lui préparer
son petit déjeuner.
D’aller le soir lui déposer un baiser sur le
front, petit talisman pour que sa nuit soit douce.
Je rêve de lire dans les yeux de ma fille
combien je suis importante.
Je rêve d’un expresso à la terrasse d’un
café.
De pousser un caddy dans les allées bondées
d’un supermarché.
D’attendre sur le quai d’une gare un RER,
bousculée par les autres.
Je rêve de râler contre les embouteillages et
tous ceux qui conduisent mal.
Je rêve de préparer un dîner pour dix
personnes.
D’avoir une tonne de linge à laver et
repasser.
D’acheter le pain, le journal et sourire aux
commerçants bienveillants.
Je rêve de recevoir du courrier et d’avoir
des factures à payer.
Je rêve d’écouter le chien aboyer après le
chat, au petit jour.
De dire bonjour à mes voisins et d’échanger
des banalités.
D’entendre un téléphone sonner et de
comprendre que quelqu’un me cherche ou a besoin de moi.
Je rêve d’avoir un agenda noirci de
rendez-vous.
Je rêve de plaisanter autour de la machine à
café, avec des collègues de travail.
De faire la queue avec un plateau dans un
mauvais restaurant d’entreprise.
De m’énerver après la hotline qui me balade
de service en service.
Je rêve de demander le soir à mon boss :
« Avez-vous encore besoin de moi ? ».
Je rêve de me regarder de la tête aux pieds
dans un miroir.
D’enlever la robe de bourrelets que je porte
depuis deux ans.
De m’habiller en bleu : marine, roi,
ciel… Tous ces bleus interdits, comme des maux bleus.
Je rêve de sourire, rire, rigoler,
plaisanter, taquiner, m’amuser, me réjouir, tout ce que je me suis interdit.
Je rêve du bruit des vagues qui viennent mourir
sur les rochers.
Du parfum des immortelles, de la repita et du
goût des arbouses.
Du soleil brûlant sur ma peau et du vent dans
les micocouliers.
Je rêve du silence de la montagne et de
l’écho de ma voix.
Je rêve d’un diner arrosé avec ma garde rapprochée.
Du sourire des miens et voir la paix
retrouvée dans les yeux de mes sœurs.
D’entendre un jour que ceux que j’ai trahis.
m’ont enfin pardonné
Je rêve de me pardonner à moi-même.
Je rêve du regard d’un homme posé sur moi.
De cet homme qui saura me reconnaître.
De ses bras qui se refermeront.
Je rêve de cet homme qui m’aimera assez pour
oublier que j’ai été un numéro d’écrou.
Je rêve des parfums du maquis qui
m’envahissent, sur le tarmac de l’aéroport, plus fort que le kérosène, et qui
me disent que je suis enfin chez moi.
Je rêve du bruit d’un trousseau de clefs,
celui qui est dans mon sac et qui ouvre la porte de ma maison.
Je rêve de toutes ces petites choses du
quotidien qui agacent, énervent, exaspèrent, horripilent, mais qui me disent
que je suis VIVANTE.
TELLEMENT
VIVANTE.
Par Simone
Je rêve d’un monde qui
s’appelle « Terre » !...
Un pays où il n’y a plus de
frontière,
Plus d’argent, plus de
barrière, plus de guerre…
Je rêve d’un monde merveilleux
!...
Que tu sois grand, petit,
mince, gros, pour l’autre, tu es toujours beau !...
Tu es toujours bien, car la
souffrance n’existe pas ; la maladie n’existe pas ; le handicap n’existe plus.
Il n’y a pas de jalousie ;
seule demeure l’envie d’aimer ; et comme tu n’es qu’amour et que dans ce pays,
on ne connaît que l’amour, tout le monde est heureux.
On se nourrit de légumes et de
fruits.
L’homme ne tue plus d’animaux
pour se nourrir ou par plaisir.
Les animaux ne chassent plus
d’autres animaux pour survivre.
Mère Nature, à elle seule,
nous donne ce qui permet de vivre.
Ensemble, heureux, nous
travaillons, nous rions, nous jouons.
La lecture, la musique, le
cinéma, tous les arts sont à la portée de tous.
Les sports sont pratiqués par
plaisir et non plus en compétition les uns contre les autres, mais plutôt en
compétition avec soi-même.
Des transports écologiques,
des joies simples retrouvées ou plutôt, des joies qui ne devraient pas s’être
perdues.
Des enfants pleins de rires,
toujours heureux, jamais abîmés par la faim ou la brutalité.
Bref, le futur dont je rêve,
ce n’est que ce « monde-là » !...
Par Valérie
Le Festival d’Antibes
Ce jour-là, aux abords de la
plage, il faisait chaud. Le soleil frappait fort. Elissa était toute excitée à
l’idée de faire un plongeon dans la mer encore bleue et propre. Nous avons
freiné et nous avons garé nos quads. En une minute, Elissa avait les pieds dans l’eau.
Moi, les doigts de pieds en éventail sur le sable, je regardais l’horizon
lorsque je vis au loin un grand engin plein de lumières jaunes, rouges, vertes
et d’autres. En plein jour. Je restais coite.
Je questionnais ma voisine de
plage et, d’un air désabusé, elle me dit : « C’est tout simplement un
bateau de croisière. » Je la laissais parler mais je restais persuadée
d’avoir vu un ovni. Je n’avais ni appareil photo, ni portable sur moi. Je
demandais à Elissa ce qu’elle en pensait et elle me donna raison. Le temps se
couvrait. Je décidais alors de revenir le lendemain à la même heure, avec cette
fois le matériel.
Je décidais de rentrer au
magasin. Un petit magasin de cadeaux dont je suis très fière et où ma fille
aime venir. Je l’ai créé il y a deux ans. Il est spécialisé dans les bijoux de
toutes sortes, du vrai à la fantaisie, en passant par des cadeaux plus
importants comme de la maroquinerie, des luminaires, des meubles restaurés et
des tableaux. Tout est artisanal, fait maison, ce sont réalisations de moi-même
ou de mes amies. Elissa, ma fille, adore ce concept, à chaque vacance, elle vient m’aider et pour vendre,
elle excelle.
Ce soir il y a un concert de jazz
comme tous les étés. Nous allons en profiter pour attendre un peu les
touristes. Et rentrer à la maison.
Ma maison, sur deux étages,
est en encore en travaux. On y trouve des rideaux à foison et ma collection de
paravents, mon hobby. Je les peins avec de l’encre de Chine et des influences
japonaises, hindoues, anglaises et françaises. Deux petites fontaines trônent
dans le salon, ce sont des miniatures chinoises. En bref, mon petit monde. La
sonnette retentit, c’est Séléna et son fiancé. Je leur avais promis une
soiréepetite folie. Un tour au casino pour perdre de l’argent, s’amuser en tout
cas. Mais je n’oublie pas que j’ai rendez-vous demain matin avec mon ovni.
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